jeudi 19 juin 2025

La vacance du lecteur


Souvent m'occupant à une chose je me suis dit que je pourrais aussi bien m'occuper à autre chose comme si le but était de s'occuper. Il se trouve que ma vie a été occupée à faire beaucoup de choses que j'aurais pu aussi bien ne pas faire pour d'autres que j'aurais faites à la place.

Ce sont là des constatations que l'on ne fait que tardivement et qui tourmenterait l'esprit de qui les ferait sur le moment comme ce jour où en charmante compagnie je m'y suis vu revenir sans elle sur ce pont de l'ile de la Cité, ce qui n'a pas manqué et pas tardé à se vérifier.

On pourrait être seul ou au bras d'une autre quand le but serait de ne pas être seul comme de ne pas être inoccupé; l'on passerait d'une occupation à une autre comme d'un bras à un autre comme si à chaque fois c'était la bonne occupation ou le bon bras qu'on tenait.

C'est de le savoir déjà qui peut nous surprendre comme une terrible intuition, et parce que c'est dans le présent que l'on vit et absolument, pas de façon toute relative où les êtres et les choses auraient une valeur toute relative, et seraient tous interchangeables.

Mais ce que je fais le plus est ce que je comprends le moins: pourquoi je lis? m'arrive t-il de me demander. C'est que quand tout ce que je fais d'autres peut trouver une utilité je n'en trouve aucune à lire, on ne me paye pas pour lire non plus qu'on ne m'y oblige autrement.

Sans doute que comme tout autre chose je suis en droit de me demander pourquoi je lis tel livre et pas tel autre; et d'ailleurs je passe d'un livre à un autre; mais la question est devenue plus cruciale: pourquoi je lis tout court? Parce que j'en aurais envie?

Mais là encore j'en ai envie comme je pourrais avoir envie d'autre chose que je ferais à la place, et ce n'est pas pour lutter contre l'ennui que je lis ces livres qui à la longue s'avèrent ennuyeux mais me distraient tout autant (d'autres choses que je pourrais faire à la place).

Ils m'occupent aussi bien. Il faut croire que l'on en revient toujours à ça: de ne pas pouvoir rester sans rien faire comme de ne pas pouvoir rester seul, car un livre c'est une compagnie, à défaut de mieux, et qui sait si ce n'est pas la meilleure sinon la moins exigeante de toutes.

Je serais cet être vacant ou en jachère qui aurait besoin de s'occuper, voire mieux, de se cultiver, n'est-ce pas ce que l'on peut dire à tout être qui un jour où l'autre peut se retrouver sur un pont de Paris au bras d'une jolie fille ou un livre à la main, que tout est sans lendemain.

C'est ce qu'il ne se dit pas, c'est ce que je lui dis, que "l'eau coule encore" et l'encre aussi et le temps aussi, et il reviendra sur ce pont, et il reprendra un autre livre, qui sait si un autre bras; que tout est sans lendemain, c'est ce qu'il ne se dit pas, c'est ce que je lui dis. 

Mais il ne m'écoute pas, il lit je crois, à moins que … C'est une compagnie et qui sait si ce n'est pas la meilleure. C'est une occupation et qui sait si ce n'est pas la meilleure. C'est contre la vacance de l'être que l'être fût-il un lecteur se bat au quotidien et sans lendemain.


CITATION

Traduit de Meditaciones del Quijote d'Ortega y Gasset: "La lata (dar la lata, très familier en espagnol, veut dire ennuyer) consiste en une narration de quelque chose qui ne nous intéresse pas" et plus intéressant encore cette définition que donnerait l'Italien, selon Croce de "latoso" (toujours en référence au roman moderne) "ce qui nous ôte la solitude sans nous donner la compagnie"   

mercredi 18 juin 2025

Le jeune Karl Marx


J'ai vu ce film: Le jeune Karl Marx mais que l'on n'aille pas trop vite en besogne et voit en moi un communiste, ce qui ne serait pas sans me flatter mais je n'arrive pas plus a épouser leur foi qu'à épouser la foi catholique, car tous deux ont foi et en appellent à un autre monde.

Qu'ils ne m'en veuillent pas de les réunir ici en une même foi car j'admire ceux qui sont portés par la foi tant qu'ils ne l'a détournent pas à leurs propres fins qui elles par contre sont bien humaines, et c'est pourquoi c'est toujours de l'humain dont il ne faut pas trop s'éloigner.

Rien ne peut être fait ou réussir sans sa prise en considération. C'est l'humain et non pas seulement le catholique ou l'ouvrier. C'est l'humain et non pas seulement celui qui a foi en Marx ou en Dieu; pas celui qui a foi en la Société comme en Dieu, mais seulement en l'homme.

Le jeune Marx est encore un jeune homme (certes en passe d'être divinisé) qui a des amours et des amitiés et c'est sans doute ce qui le fait aimer dans le film comme ce qui a fait aimer Dieu c'est le Christ quand il n'était qu'un homme parmi les hommes. 

Ce film qui pourrait seulement nous faire regretter de ne pas avoir connu Karl Marx quand il était un homme parmi les hommes et jeune de surcroit parce qu'en général on vieillit mal et nos jolies femmes qui flattent notre vie la flattent moins à cet âge qui est pour tous moins flatteur.

Le réalisateur a eu raison de s'en tenir au jeune Karl, quand ses idées étaient encore rafraichissantes, quand elles aussi n'avaient pas pris un coup de vieux. Qu'elles soient encore d'actualité: c'est de ne pas aimer voir les choses vieillir et mourir qui nous le fait dire et penser.

Dans ce film on se moque de Proudhon qui a dit la propriété c'est le vol, par une répartie brillante mais qui est toute rhétorique et qu'on met dans la bouche du jeune Karl Marx: "si la propriété c'est le vol alors en volant la propriété qui est le vol on vole quoi? le vol?"

Alain opposait plutôt Marx à Jaurès quand il écrivait: "Il y a une belle naïveté dans la foi socialiste; mais on y trouve aussi assez de pédantisme. Que de fois quand j'entendais Karl Marx en bourgeron qui parlait comme un livre, j'ai pensé à quelque licencié du temps passé"

Karl Marx serait-il, lui qui aurait toujours voulu donner à sa pensée plus d'assise, de consistance, l'aurait voulu plus scientifique que sentimentale, en un mot matérialiste (fondée sur les sciences économiques), vu traité à tort de pédant? 

Sans doute, mais ne serait-il pas plus d'actualité de s'en remettre à Proudhon qu'à Marx, à l'individu qu'à la société, d'abord parce que si l'individu reste l'individu la société, elle, change; ensuite parce que le sort de la société nous intéresserait moins que celui de l'individu.

C'est que le parti communiste est un parti de la société comme tous partis politiques l'est, tandis que Proudhon n'a qu'un seul parti et c'est le parti de l'homme: "Quiconque met la main sur moi pour gouverner est un usurpateur et un tyran; je le déclare mon ennemi."

En effet, qui ne peut se rallier à cela, chaque homme est Proudhon, quand tous les hommes ne sont pas Marx. N'aurions nous plus d'ennemis de classe que nous aurions encore cet ennemi à combattre, car étant l'ennemi de l'individu il est l'ennemi de toutes les classes confondues.

Et il ne faut pas plus être anarchiste que communiste ou capitaliste pour prendre la cause individualiste qui est la cause de l'homme et celle d'un homme comme un autre. Et Alain le philosophe et l'auteur des Propos est un homme comme un autre.

Quand il écrit (après avoir parlé des Chemins de Fer qui préfèrent payer pour ce qui leur coûtent le moins cher: la mort d'hommes que des travaux de voierie) "Il faut établir et fortifier le respect de la vie humaine… Il ne faut pas qu'il y ait un prix de revient du meurtre."

Et c'est pourquoi en ses Propos comme en beaucoup des Confessions de Proudhon la prise en considération de l'homme les rend recevables à tous les hommes. L'autonomie, l'autosuffisance, l'autodétermination, quoi de plus cher à nos cœurs aujourd'hui comme hier à celui de Proudhon.

Tandis que Proudhon avait foi en l'homme pourvu qu'il donne le meilleur de lui-même, (en cela la société pouvait l'aider, être un outil plus qu'un instrument aux mains du pouvoir), Marx lui avait foi en une société à venir, qui n'était pas, sinon dans sa tête, qu'elle se réalise.


CITATION

Henry David Thoreau La désobéissance civile "j'accepte de tout cœur la devise suivante: "Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins" et j'aimerais la voir suivie d'effet plus rapidement et plus systématiquement."

A rapprocher de Proudhon dans Les confessions d'un révolutionnaire:

"Les nations les plus libres sont celles où le pouvoir a le moins d'initiative, où son rôle est le plus restreint: citons seulement les Etats-Unis d'Amérique, la Suisse, l'Angleterre, la Hollande. Au contraire les nations les plus asservies sont celles où le pouvoir est le mieux organisé et le plus fort, témoin nous. Et cependant nous nous plaignons sans cesse de n'être pas gouvernés, nous demandons un pouvoir fort, toujours plus fort!"

mardi 17 juin 2025

L'état de grâce


Parfois je me dis que si mon individu pouvait écrire sa vie telle qu'il l'a vit ce serait alors une vie si singulière pour aussi banale qu'elle puisse paraître, et où à la fois tout le monde s'y reconnaîtrait, et ce serait sa vraisemblance, et en diffèrerait, et ce serait sa différence, l'un dans l'autre faisant que personne ne pourrait jamais plus considérer sa propre vie comme nulle et non avenue.

Mais c'est aussi que toute cette profusion d'impressions qui y sont rendues aussi que toutes ces réflexions légères parfois, profondes d'autres fois, qui traversent toute vie en passant inaperçues seraient là toutes ou presque retenues quand cela n'est même pas imaginable dans la plus pauvre des vies qui soit, alors qu'elle est suffisamment riche pour qu'on n'en retienne pas tout.

C'est que cette vie que l'individu est capable de vivre c'est sans savoir ce qu'il vit, comme souvent celui qui est heureux l'est sans savoir qu'il l'est, heureux. Qui contemple un nuage et s'en réjouit qu'il contemple sa vie et il s'en réjouira d'autant plus que cette nébuleuse à lui se montrera et prendra des couleurs chatoyantes et vives ou sombres et grises, mais jamais à lui indifférentes (comme l'est à nous la nature).

A t-il une peine, un chagrin, il n'y a rien de plus admirable qu'une peine, qu'un chagrin; c'est un état maladif certes, et l'on s'étonne de la complaisance qu'on y trouve, complaisance reprochable mais agréable au fond sans quoi on ne la vivrait pas quand il y a de par le monde beaucoup d'esprits chagrins, trop sans doute, mais que d'élégies qui sont autant d'énergies tendres, sans compter que cela creuse l'être, et c'est une faim d'êtres que la sienne.

On aime plus par défaut que par excès: au vantards de faire étalage de leurs conquêtes mais celui qui connait le désamour sait mieux ce que c'est que l'amour, comme on sent mieux en nous ce qui souffre que ce qui va bien on sent mieux son cœur quand il souffre et la souffrance est ce qui creuse l'être et lui donne cette faim qui entre toutes les faims est la plus humaine: la faim d'êtres.

C'est vrai qu'on aime tellement parfois non pas un être mais un état qu'on ne voudrait pas en changer pour un autre état non plus que pour un autre être, mais ce n'est pas quand on est bien dans un état ou dans un autre mais dans le mouvement, (le mouvement c'est la vie), que l'on connait la grâce qui serait rien de plus mais aussi rien de moins que le bonheur , et le bonheur un état de grâce.

Certes on parle d'état de grâce mais quand on parle de quelqu'un de gracieux on le voit se mouvoir ou parler, vivant en état de grâce, vivre en état de grâce serait alors vivre en mouvement, que ce mouvement soit oratoire ou corporel; enfin de l'âme ou du corps pour autant qu'on les considère séparément, ce que démentirait l'état de grâce où ils se confondent.

Ne serais-je pas en train de confondre à mon tour la grâce et être gracieux? Oui, mais sciemment et parce que ce que l'on confond c'est celui qui fait le gracieux à celui qui est en état de grâce et par conséquent est gracieux. J'aurais confondu aussi la grâce avec le bonheur. Oui, mais sciemment: ne parle t-on pas des bienheureux? Eh bien, il arrive à mon individu d'être heureux sans pouvoir rattacher à rien son bonheur.

C'est comme cet amour qui serait plus amour par défaut qu'amour par excès, c'est que l'amour ne serait pas amour d'un être mais amour de la vie; et comme un lien qui se dénoue ce qui l'attachait se détache, il retrouve alors sa liberté de mouvement, qui est grâce, qui est amour de la vie, qui est mouvement, mais c'est aussi un état de grâce en cela que ça ne dure malheureusement pas pour l'individu qui s'attache et veut se fixer.

CITATION

Sur France Culture Anaëlle qui a dix ans dit: "quand je suis triste je me mets dans un coin et je pense à la forêt, je vois des arbres, des fleurs, ça me remonte le moral". La tristesse ouvrirait à l'être comme à la nature. Comment ne pas penser aux Rêveries du promeneur solitaire de JJ. Rousseau

lundi 16 juin 2025

Un ami d'enfance


J'ai revu mon ami en rêve, celui qui ne m'appelle plus, je suis même passé à côté de lui, je crois que je lui ai dit quelque chose sans importance qui tenait au lieu où j'étais et à ce que j'y faisais; il a dû m'y répondre avec la même indifférence, nous étions devenus deux parfaits inconnus.

Et c'est ainsi que cela devrait se passer dans la vie, sans rancune, on a été amis, eh bien, c'est fini, nous voilà à nouveau au point de commencement ou pas, d'une relation; et nous devions avoir l'un et l'autre bien changés pour qu'elle ne se renouvelle pas notre amitié.

Je ne l'ai reconnu qu'après m'être réveillé, parce que de nouveau dans cette vie où on ne pardonne rien et on ne pardonne rien même à l'oubli, parce qu'on n'oublie rien: oublier c'est pardonner et vis versa; c'est vrai que je n'y pensais même plus mais ce rêve me l'a rappelé.

J'en ai eu d'autres d'amis cependant et à qui je ne rêve même plus. Ils sont bien retournés ceux-là de part le monde où je les ai trouvés et ne les trouverais plus. Ils ne me manquent pas plus que ceux que je n'ai jamais connus. Pas plus je n'ai envie de les voir qui serait les revoir.

Je rêve néanmoins mais cette fois-ci éveillé de cette amitié sur laquelle j'ai lu quelques mots d'Aristote et d'autres de Montaigne car je ne saurais dire si elle est de ce monde où de celui de l'écrit qui en diffère, sans doute par l'imagination, sans doute par l'idéalisation.

Il n'est pas bon d'avoir trop lu, à moins que ce ne soit d'avoir trop vécu, et nos meilleurs amis seraient des amis d'enfance, c'est-à-dire là où l'on se prête le plus à rêver, mais à eux aussi on les perd avec les années.


CITATION

Montaigne Essai I "Parce que c'était lui, parce que c'était moi"

Aristote dans l'Ethique à Nicomaque écrira: "que les hommes vertueux seront amis par ce qu'ils sont en eux-mêmes". Il distinguera ainsi l'amitié fondée sur la vertu de l'amitié fondée sur l'utilité et de l'amitié fondée sur le plaisir.

Les partisans


Un homme d'action s'est mis à douter. C'est le pire qui puisse arriver à un homme d'action. Bientôt on ne pourra plus parler de lui comme d'un homme d'action. On n'en parlera d'ailleurs plus du tout car de qui parlerait t-on qui ne se manifesterait pas. De personne.

Au fur et à mesure que l'homme d'action s'amenuisait, l'homme de réflexion, car seul le doute amène à s'interroger, après avoir fait en lui son apparition, grandissait de jour en jour jusqu'à occuper toute la place, parce que la pensée n'est pas moins ambitieuse que l'action.

Mais pensez c'est agir, me direz-vous. Mon œil! N'avez-vous pas vu de ces brutes agir? Pensez-vous qu'ils pensaient beaucoup? Et ne pensez-vous pas pour tous les autres qu'au moment de l'action il y a beaucoup plus d'actions que de pensées sinon pourquoi tous ces regrets.

Mais René Descartes était un homme d'action? Oui! Et pourtant personne n'a douter autant que Descartes! Très certainement, mais avec méthode. Il faut lire le Discours de la méthode et les Méditations métaphysiques pour le comprendre.

Pour comprendre qu'il n'y a pas de plus grandes certitudes que celles fondées sur le doute écarté par la méthode, aussi le je pense donc je suis. Cependant tous les hommes d'action ne s'appellent pas Descartes, s'en tiennent aux idées reçues, ne passent pas tout au crible du doute.

Ce n'est pas en connaissance de cause qu'ils agissent, c'est plutôt par parti pris qu'ils se jettent dans le feu de l'action et parce qu'ils brûlent de passion frénétique, assassine, ce sont les partisans.

Ce qui n'enlèvent rien à leur courage mais l'on peut davantage parler d'aveuglement que de lucidité: qui courrait à la mort s'il était lucide, sans amour mais surtout sans haine, car la haine est la plus forte quand il s'agit non pas de se donner la mort mais de tuer l'autre, l'ennemi.


CITATION

Discours de la méthode: "que même les histoires les plus fidèles, si elles ne changent ni n'augmentent la valeur des choses, pour les rendre plus dignes d'être lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances: d'où vient que le reste ne paraît pas tel qu'il est, et que ceux qui règlent leurs mœurs par les exemples qu'ils en tirent, sont sujets à tomber dans les extravagances des paladins de nos romans et à concevoir des desseins qui passent leurs forces." R. Descartes 

dimanche 15 juin 2025

Un lecteur déprimé


La preuve que les écrits ne servent à rien c'est qu'à chaque ligne qu'on lit on se dit: mais cela a été dit et il n'en a rien été fait. Le lecteur n'en est pas pour autant étonné: tout lecteur sait que les écrits ne servent à rien.

Faudrait-il ajouter à rien d'autre qu'à être lus et il y a certainement un monde idéal qui ne peut-être que lu, voilà ce que se dit notre lecteur déprimé. Mais le plaisir de la lecture n'y est sans doute pas étranger et le bonheur du lecteur à se dire: c'est pour moi tout cela.

Pour le comprendre il faudrait imaginer un lecteur qui ne soit pas de ce monde et qui en ait des nouvelles par nos philosophes des lumières; il irait d'émerveillements en émerveillements en lisant toutes ces belles choses qui ont été pensées, il pensera même qu'elles ont été réalisées.

Il voudra venir nous rendre visite quand il vaudrait mieux qu'il ne nous voit pas autant dans la société que dans nos vies particulières parce que ni notre société ne ressemble à quelque société utopique ni nous ressemblons à quelques héros mythiques non plus qu'à l'honnête homme.

Pourtant me direz-vous l'on continue à écrire comme à alimenter cette part de rêve et c'est sans doute parce que c'est elle qui continue à nous faire accepter la réalité où nous vivons par cet espoir qu'elle change grâce aux écrits: voilà toute notre folie.

A moins que tout le monde soit de mauvaise foi. Ou. A moins que tout le monde y croit. Quel est le livre qui a changé votre vie? Comme si un livre avait le pouvoir de changer notre vie. Encore moins la société. C'est pas les livres qui ont fait la révolution, c'est les hommes.

Et c'est pourquoi elle a été sanglante. Et c'est pourquoi il y a eut la restauration. Et c'est pourquoi elle a été sanglante. Et c'est pourquoi il y a eut d'autres révolutions. Et elles ont été sanglantes. Et c'est pourquoi il y a eut d'autres restaurations. Et elles ont été sanglantes.

Certes les hommes continueront à vivre. Et des livres continueront à s'écrire. Mais c'est comme deux mondes à part. Mais c'est comme si le lecteur choisissait à quel monde il voulait appartenir.

C'est que les écrits restent mais les hommes ne restent pas; que les uns sont fiables et que les autres ne le sont pas; que les uns sont gouvernables et les autres ne le sont pas; et par là on voudrait gouverner par les écrits et l'on oublie trop que l'on gouverne des hommes.

Sans doute ont ils donné leur parole par écrit, mais ils ne s'y tiennent pas. Eux-mêmes aimeraient pourtant qu'on les confondent à leurs écrits, qu'on retienne l'auteur et qu'on oublie l'homme, ou qu'on ne voit plus l'homme que par ses écrits, par eux transfiguré, par eux transcendé.

Mais mon lecteur qui aimerait être ce lecteur d'un autre monde pour ainsi voir l'homme tel qui se voudrait être, aussi que les autres tels qu'il les voudrait être, aussi que la société telle qu'il l'a voudrait être; quand il le voit tel quel, se tape une déprime et retourne à sa lecture.

Qu'on arrête de se la raconter, disait alors notre lecteur déprimé, il y a une réalité où l'on vit et une autre qu'on lit et c'est la nôtre mais transfigurée, transcendée par l'esprit, à la plus grande joie du lecteur qui s'y retrouve à son tour plus grand, plus beau, qu'il ne l'est. 

Le lecteur déprimé aimerait tant cependant que ce ne soit pas les livres qui est de la valeur mais leurs auteurs, que ce ne soit pas les écrits des hommes qui est de la valeur mais les hommes eux-mêmes, qu'ils soient tous Riego Y Narváez que cite Ortega y Gasset dans Meditaciones del Quijote: "Riego y Narváez, por ejemplo, son como pensadores, la verdad, un par de desventuras; pero son como seres vivos dos altas llamaradas de esfuerzo." 


samedi 14 juin 2025

La complétude de l'être


On n'attend toujours le bonheur de l'autre, mais comment qui n'a pas le bonheur pourrait-il l'apporter à l'autre ? Et s'il a le bonheur en quoi voudrait-il encore l'autre? Pour le rendre heureux? Mais s'il l'est déjà.

Cependant pour l'être déjà il faudrait que de la même façon que l'on s'imagine heureux avec l'autre l'on s'imagine heureux seul car c'est une question d'imagination, or quand on se retourne dans son passé les images de bonheur que l'on revoit ne sont pas celles de nous seul.

Tout tiendrait donc à ce que l'on ne s'imagine pas heureux seul tandis que l'on s'imagine heureux à deux, tout tiendrait donc à une question d'imagination tandis qu'il est moins sûr que la réalité du couple témoigne de plus de bonheur que celle de l'homme seul ou de la femme seule.

Cela est si vrai qu'on ne pourrait aimer que celui ou celle avec lequel ou laquelle on puisse s'imaginer heureux, aussi le moindre signe contraire amoindrirait d'autant l'amour qu'on lui porterait tandis que tout signe favorable à ce bonheur ne ferait qu'accroitre notre amour.

Mais l'amour c'est aussi la possibilité d'être aimé et la possibilité d'être aimé c'est la possibilité de ne pas être seul, tout conduit à penser que c'est plus la solitude qu'on fuit que les êtres qu'on recherche, et qui se dit bien dans sa solitude l'amour la lui fait quitter.

Il la quitte pour l'autre qui est le bonheur qu'il s'imagine, parce que ce ne serait pas tant qu'il ne soit pas heureux dans sa solitude mais plutôt qu'il ne puisse pas s'imaginer l'être, à croire aussi que le bonheur ne peut être que partagé et entendu.

Quand on entend l'autre dire je t'aime on entend le bonheur frapper à notre porte et entrer dans cette maison vide et solitaire que l'on ne s'imagine pas heureuse autrement, même si l'on y a passé le plus clair de son temps sans souci de rien d'autre que de soi-même.

C'est qu'il n'y a pas d'amour de l'autre sans souci de l'autre et que c'est autant l'amour de l'autre que le souci de l'autre qui fera notre quotidien quand ne vient pas s'ajouter celui des enfants qu'on aime aussi très certainement où bien c'est là qu'il faut apprendre à aimer.

Que certains apprennent et d'autres n'apprennent pas à aimer et reviennent à leur solitude que bien vite ils voudront quitter parce qu'on attend toujours le bonheur de l'autre, parce qu'on ne peut s'imaginer heureux tout seul. L'amour serait un manque plus qu'un trop plein d'imagination.

Un manque que l'on chercherait à combler avec l'autre, mais l'autre veut un plus, car lui aussi cherche à combler un manque: qui saura alors donner à l'autre l'illusion d'un plus saura se faire aimer de l'autre: l'amour ne dit pas ce qu'il est.

La solitude qui apparait comme un manque, un défaut de l'être, peut être aussi trompeuse et se révéler le contraire de ce que l'on s'imagine, alors dire je t'aime serait joindre ma solitude à la tienne, deux solitudes qui s'aiment serait s'aimer dans la complétude de l'être. 

vendredi 13 juin 2025

La vie du corps


J'avais promis à l'auxiliaire de vie qui prenait bien soin de ma femme mais moins d'elle même, qui devenait obèse, que je lui donnerais 5O euros si en une semaine elle perdait 2,5 kilos et 100 euros si elle perdait le double, puis je l'avais pesée, la balance serait juge et témoin. 

Comme je rapportais cela à mon ami, et que j'ajoutais qu'avec un peu d'activité physique c'était faisable, il me reprit en disant que jamais le sport n'avait fait maigrir et c'était vrai qu'il était difficile de brûler autant de calories qu'on en emmagasinait dans le même temps.

Mais je crois qu'il faudrait voir plus loin si l'on voulait mieux comprendre la position de mon ami que mon expérience démentait déjà et c'était, comme je lui dis, que l'ennui et le stress faisait manger plus, tandis qu'une pratique sportive en enlevant le stress et l'ennui faisait manger moins.

Je n'étais cependant pas allé assez loin parce que je ne m'étais pas assez interrogé sur ce qui faisait ainsi penser mon ami et c'est je crois ce pouvoir excessif que l'on accorde à l'esprit tandis que l'on n'en donne aucun ou que très peu au corps.

Depuis les stoïciens pour qui les passions sont les maladies de l'esprit, en quoi en gouvernant son esprit (par l'action de la raison) on peut guérir les passions, jusqu'aux maladies psychosomatiques d'aujourd'hui qui seraient en partie donc psychologiques, on pense encore que c'est l'esprit qui ferait tout et qui pourrait tout.

Eh bien, je maintiendrais plutôt le contraire: que par l'exercice du corps on peut venir à bout non seulement de l'obésité mais de tout ce qui fait de nous des êtres dérangés (entre autre par les passions) justement par cette action et fonction équilibrante qu'il a sur l'esprit.

Il n'y a pas que la graisse qui quand elle ne se transforme pas en muscles part en sueurs mais les états grippaux ou bronchiteux comme ce jour où malade je donnais un cours de culture physique d'une heure qui me fit beaucoup transpirer, que je me couchais mort de fatigue, et que je me relevais douze heures après avoir sombré dans un sommeil réparateur et comme miraculé.

Quand le corps cède ce n'est pas encore le corps qui cède mais souvent l'esprit, c'est l'esprit qui est faible pas le corps, et c'est en cela et pour beaucoup que celui des animaux est plus fort que le nôtre, aussi celui qui est plus proche de la brute que de l'être pensant.

Et c'est à un ami aussi mais lui ayant souvenir de sa pratique du rugby s'accorda avec moi à penser qu'après une bonne partie de rugby comme moi après une rude séance de musculation il n'était plus cet intellectuel timide et timoré que la pratique assidue de la lecture avait fait de nous.

C'est que le corps produit des états psychologiques plus que les états psychologiques agissent sur le corps et s'ils le font ce n'est pas en bien tandis que les actions du corps sur l'esprit lui sont souvent et plutôt bénéfiques.

On pense mieux et plus fortement, c'est-à-dire avec plus d'intelligence et avec plus de volonté; c'est la force des fluides, ça circule mieux la dedans dans notre corps, d'autres diraient dans notre esprit sans qu'ils sachent toutefois dire où quand je dirais que partout où est le corps.

J'en appelle pour finir à Alain qui lui même dans ses Propos en appelle souvent au corps: c'est la nourrice qui arrête les pleurs du nourrisson en le berçant. Alain pour qui c'est en desserrant le poing qu'on dessert sa colère, en redressant le corps qu'on se redresse soi même.

Il n'y a pas de vie qui ne soit vie du corps et jusqu'à preuve du contraire il n'y aurait pas d'esprit qui ne soit esprit du corps; de là que les Grecs dans l'antiquité aient parlé d'un esprit sain dans un corps sain et c'était sans doute avant qu'on ne maltraite le corps.


CITATION

Henri Bergson: "Matière et esprit présentent un côté commun, car certains ébranlements superficiels de la matière viennent s'exprimer dans notre esprit, superficiellement, en sensations;"

jeudi 12 juin 2025

Un lecteur nonchalant


Blaise Pascal se trompait quand il disait que "tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre". Ah! s'il pouvait le voir non pas seulement aujourd'hui mais tous les jours de sa vie parce que tous les jours de sa vie c'est ce qu'il avait fait de mieux.

Tous ceux qui disaient que le travail c'est la santé se trompaient aussi car à l'âge qu'il avait il se portait comme un charme. On pouvait lui en vouloir pour ça. Eh bien, qu'on lui en veuille pour ça. Mais il y a mieux: qu'on fasse comme lui et l'on s'en portera mieux aussi.

C'est vrai qu'il y avait été aidé au début de sa vie en tombant malade. En tombant malade il avait dû garder le lit. Après c'est le lit qui l'avait gardé à lui de tout en général et des autres et du travail en particulier.

C'était un beau mercredi ensoleillé et il n'avait plus besoin d'être malade pour garder le lit. C'est ça qu'il y a de bien avec les habitudes acquises au prix de toute une vie sans mérite parce que, dites moi, qu'est-ce qui mérite qu'on quitte le lit et y laisse sa santé?

Entre la vie et lui il y avait les murs de sa chambre et la fenêtre de sa chambre, ce qui fait qu'elle lui arrivait comme la lumière de la lampe de chevet, tamisée, adoucie, et que c'est comme ça qu'il avait appris à l'aimer lui la vie comme à la trouver trop brutale, dehors.

Comme d'aussi rapides et brutales excursions à l'extérieur le lui avaient donnée à voir, car pour commencer il lui fallait se brutaliser pour sortir de sa chambre ou le brutaliser, car c'est ce qu'il ne pouvait faire que contraint et forcé mais souvent on le trouvait endormi.

D'ailleurs c'est ce qu'on disait de lui que c'était un endormi et il n'aurait pas voulu les détromper: c'était le seul moyen pour qu'ils lui fichent la paix tous ces agités incapables de garder la chambre quoiqu'ainsi il ne souffrait pas de leur compagnie.

Ils entendait les enfants criés mais pas si fort, pas si fort qu'il eut pris les enfants en grippe, c'étaient sur les bords de marne où s'étirait un long fleuve tranquille comme il aurait aimé que soit la vie, qu'en canoé kayak ils se divertissaient les enfants qui n'avaient pas école.

Et sa chambre en était un peu éloignée et séparée comme de toute l'humanité bruyante et nauséabonde mais que de là où il se trouvait il pouvait aimer car elle lui arrivait moins bruyante et moins nauséabonde. Mais il savait maintenant par expérience qu'il devait se tenir à distance.

A cet effet il n'entreprenait rien, rien qui n'eut pu lui faire quitter la chambre ou que ne quittant pas la chambre pu faire qu'on vint lui rendre visite: ce n'était pas la sienne de chambre que celle de Marcel Proust, pas même celle de ce grand blessé de guerre Joë Bousquet.

S'il jouait aux échecs sur Internet c'était un peu par vice comme la lecture ou tout autre masturbation intellectuelle ou physique, mais surtout pour ne rien faire d'entreprenant, c'était le sien de jeu du non jeu, comme s'il cherchait une chambre et à y trouver refuge, à s'y mettre à l'abri des mauvais coups qu'on pouvait lui jouer.

S'il lisait c'était Les carnets du sous-sol de Fédor Dostoïevski qui commence par: "Je suis un homme malade…Je suis un homme méchant" et ça le rassurait plutôt d'apprendre que si on l'obligeait un jour à quitter sa chambre il pourrait encore chercher quelque sous-sol auquel Blaise Pascal lui-même n'aurait pas pensé.

Enfin, s'il lisait c'est que dans les livres la vie arrivait comme dans sa chambre mieux ordonnée, plus apaisée, plus réfléchie, aussi plus plaisante. Ainsi, tandis qu'il n'aurait pas aimer connaître l'homme du sous-sol qui ne cherchait à plaire à personne il voyait bien que Fédor Dostoïevski en écrivant faisait des efforts pour plaire à son lecteur et il lui en était grès en le lisant.


CITATION

Les carnets du sous-sol de Fédor Dostoïevski: "Je vous assure, messieurs: avoir une conscience trop développée, c'est une maladie, une maladie dans le plein sens du terme. La vie quotidienne ne se contenterait que trop d'une conscience normale, … "

L'écrit


"On n'écrit pas pour être approuvé toujours et sans résistance: d'accord. Mais on n'écrit pas non plus pour heurter et irriter ceux qui liront, ou, en d'autres termes, pour conduire un directeur de journal à la faillite. Il s'agit de se tenir dans l'entre-deux; de ménager un peu; de heurter un peu; et en somme de se faire une liberté dans les entraves mêmes …"

Voilà ce que je lisais dans les Propos d'Alain et que je n'aurais pu entendre à l'âge de vingt ans, mais hier encore j'écrivais moi-même sur cette défiance qu'il fallait avoir contre tout ce qui était exprimé avec force, c'est-à-dire avec radicalité, pour l'autorité naturelle que cela pouvait avoir sur nous.

D'où il faudrait être à même d'apprécier "cet entre-deux", "ce ménager un peu", "ce heurter un peu" d'Alain qui n'est pas non plus sans nous faire réfléchir sur la liberté de la presse si contestée aujourd'hui par le pouvoir de la finance comme elle l'était d'ailleurs déjà du temps d'Alain puisqu'il s'en exprimait ainsi, c'est-à-dire de façon plus pondérée ou réfléchie que l'opinion commune sur le pouvoir de l'argent.

On conçoit pourtant plus facilement qu'il faille régler sa conversation en société, ses dires, que ses écrits dans les journaux et les livres qui sont pourtant les journaux et les livres de la société, sa presse, ses maisons d'éditions, où intérêts financiers et intérêts idéologiques se donnent le change.

C'est qu'on voudrait pouvoir écrire plus qu'on ne peut dire et c'est en effet ce que le temps long de l'écriture comme de la lecture autorise, des propos qui ne pourraient pas être tenus encore moins reçus dans l'immédiateté de l'oralité le seront peut-être là où la réflexion à le temps de se faire.

C'est là-dessus qu'il faut miser et les financiers aussi l'autoriser, et ce qui n'est pas radical, abrupt, est aussi ce qui ne brutalise pas. Et pourquoi le lecteur se laisserait-il brutaliser, et s'il se laisse brutaliser c'est encore que la force fait autorité sur lui, et non pas qu'elle fasse appel à son intelligence.

Un de mes amis ne parle jamais politique avec moi tandis qu'un autre le fait volontiers. C'est que le commun des mortels s'emportent volontiers quand il parle politique, en quoi le premier aurait raison de s'abstenir. Mais le second adoucit tellement ses opinions que bien qu'elles diffèrent des miennes elles deviennent recevables, c'est ainsi qu'il voudrait intelligemment m'en faire changer.

Mais j'en reviens à cette oralité tant vantée. A l'université où l'histoire des contes nous était conté il était aussi fait référence à cet âge d'or de l'oralité, celle des conteurs. Tout cela bien entendu faisait l'objet de thèses et de doctorats qui étaient tous des écrits, certes tous ne tarissaient pas d'éloges envers l'oralité.

Mais c'était encore oublier l'immense avantage de l'écrit sur l'oralité qui est d'exprimer ce qui ne saurait être entendu mais peut être lu à tête reposé et dans l'intimité qui est celle de la pensée quand on ne pense pas toujours à tout ce qu'on dit.

Quand on ne pense pas toujours à tout ce qu'on dit on a au moins le temps de le penser un peu plus par écrit, par cela même de la supériorité du temps long sur le temps court, parce qu'il est celui de la réflexion où par conséquent les réflexions abruptes sont moins de mise.

mercredi 11 juin 2025

L'autorité


Il n'y a pas d'idées qui ne fassent débat et l'autorité fait débat en moi comme elle fait débat en tout un chacun. Et ce débat brûlant comme un volcan dormant fut réveillé par la lecture d'un extrait des Confessions d'un révolutionnaire, Proudhon.

La force des propos tient souvent à leur radicalité et c'est en quoi souvent elle fait autorité sur nous comme le fait tout étalage ou exhibition de force qu'elle soit spirituelle ou matérielle (voir défilé du 14 juillet) et c'est une mise en garde que l'on peut faire à tout lecteur.

Je n'en fus pas moins d'abord séduit et subjugué par ces mots de Proudhon: "L'autorité, voilà donc qu'elle a été la première idée sociale du genre humain […] Il n'y aura de liberté … que lorsque le renoncement à l'autorité aura remplacé dans le catéchisme politique la foi à l'autorité."

Heureusement que des propos plus modérés auxquels tout autant j'acquiesçais vinrent les tempérer et c'était un autre extrait mais des Deux traités du gouvernement civil de John Locke qui n'accepte pour toute autorité que celle de la loi et de pouvoir que le pouvoir législatif.

A l'autorité des hommes l'autorité de la loi qui doit s'arrêter au bien public. Par son idée restrictive de l'autorité il s'opposerait à Thomas Hobbes, "pas question de céder aux idées absolutistes, qui font croire que "tout gouvernement terrestre est le seul produit de la force et de la violence" était-il commenté.

C'est que Thomas Hobbes est aussi très connu pour son livre le Léviathan, toujours pour cette radicalité des propos qui leur donne toute leur force qui comme toute force fait sur nous forte impression, autant dire autorité, et c'est de l'autorité dont il faut toujours se défier.

Donc John Locke ne reconnaissait qu'une force, celle de la loi, qui puisse faire autorité sur nous. Je crois pouvoir avec d'autres philosophes allés plus loin, ne devoir reconnaitre d'autre autorité qu'une autorité morale qui ne nous renvoie pas à la loi mais à notre conscience.

Je pense entre autres à Emmanuel Levinas pour qui les institutions ne sont pas à rejeter, mais en leur absence comme en leur présence, tout un chacun est renvoyé à sa conscience qui est responsabilité de l'autre, et c'est "le visage de l'autre" qui doit faire autorité sur lui.

C'est pourquoi à l'être social je préfère l'être moral, à celui qui a une société celui qui a une conscience, et que cette conscience le rappelle à l'autre plutôt qu'il se parapet derrière la loi en vigueur parce qu'il y a eut des lois comme des institutions abominables. 

Que tout le monde alors non pas en dernière mais en première instance soit renvoyé à sa conscience, c'est-à-dire à son humanité qui seule sur lui doit faire autorité. C'est aussi préférer à l'autorité de tous, la société, l'autorité de chacun, que l'individu est le mot de la fin.

Intelligence et société ( le QI )

 

Souvent on oppose intelligence et intuition, l'intuitif soi-disant relèverait du primitif, d'avant la civilisation et le règne de la raison. Quand pour Eugenio d'Ors le philosophe espagnol l'intelligence (le "Nous") du temps des Grecs n'était pas ce qu'elle est ou représente pour nous aujourd'hui.

L'intelligence était un concept où entrait non seulement la raison et la logique mais aussi le goût et le sens de l'harmonie et le sentiment; elle n'était pas seulement faite d'éléments rationnels mais aussi d'éléments empiriques, de l'intuition, du sentiment, du goût.

Je voudrais à ce titre en venir au mariage de raison d'autrefois qu'on oppose au coup de foudre d'aujourd'hui. Les réactionnaires ne manqueront pas de dire que finalement ces mariages tenaient plus que ceux d'aujourd'hui, que plutôt l'autorité de la raison à l'aveuglement de la passion.

Mais ce qu'on n'appelle le coup de foudre ne serait-il pas cette onde de choc de l'intuition qui s'adresse à nous de façon plus directe que la réflexion, qui procèderait de la nature plus que de la pensée qui souvent la contredit. Un chemin plus direct et sans compromissions.

Qui ne s'encombrerait pas de principes, de préjugés, de connaissances erronées ou superficielles ou culturelles, enfin du vernis de la société; une communication de l'être à l'être, sans dieu, sans société, sans intermédiaires, voilà mon individu livré à lui-même et à son intuition.

Qui voudrait l'en défaire sinon la société dont elle ne sert pas les intérêts, car procédant de l'individu elle est au service de l'individu, procédant de sa nature, répondant à l'appel de la nature, elle ne répond pas à l'appel de la société.

Mais non, si on dit maintenant de quelqu'un qu'il est intuitif c'est un euphémisme pour dire qu'il n'est pas intelligent, l'intuition n'étant plus considéré comme faisant parti de l'intelligence, quand l'intelligence n'est plus réduite par la société et son évaluation qu'au QI.


CITATION

"La Ciencia que es eminentemente lógica por su factor de racionalidad, es también biológica por su factor de curiosidad -es decir de instinto- es decir de algo biológicamente puro." A la curiosité on pourrait ajouter l'intuition dont par ailleurs parle aussi Eugenio d'Ors dans son ouvrage La filosofía del hombre que trabaja y que juega.

mardi 10 juin 2025

Un foyer de vie


Tandis que je jouais aux échecs avec un ami le téléphone sonna. C'était ma tante. Bientôt je raccrochais pour reprendre la partie et ne pas trop faire attendre mon ami. Sans doute ma tante avait encore envie de parler avec moi. Il y avait des années qu'ont ne s'étaient pas vus.

Ne faites pas comme moi jeunes gens. Trop vite on oublie qui a été pour nous un foyer de vie auprès duquel on aimait à se réchauffer. Et c'était chaque fois que je me rendais accompagné de ma grand-mère dans cette vaste demeure où résidaient l'oncle Jo, la tante Danielle, et les cousines.

Mais c'était elle le centre, le foyer, qui tout animait, par elle que tout rayonnait de joie et de gaieté. Son mari mon oncle n'est plus mais quand il était elle parlait du garagiste qu'elle avait trouvé pas mal et c'était pour faire marronner la grand-mère et bisquer l'oncle Jo.

Elle faisait mille choses, allait en mille endroits, mais c'était lui l'homme qui travaillait, ça donnait des conversations animées, animée par elle surtout qui n'avait pas la langue dans sa poche disait la grand-mère; mais elle riait et ça faisait du bien, ça réchauffait l'âme chagrin.

Un peu taiseux l'oncle Jo, un peu folâtre la tante Danielle, un peu grognon la grand-mère, les cousines un peu gamines, et j'étais cet âme chagrin qui trouvait un peu de consolation a être là où elle pouvait recevoir un peu de chaleur humaine, de vie insouciante et riche qui brillait comme un soleil.

Un soleil qui sans doute est maintenant à son couchant resplendissant de ses meilleurs feux, donnant à la vie ses plus belles couleurs, invitant autant le regard que le cœur et l'âme bienveillante à ne pas oublier ce qui fut, ce qui est, aussi que ce qui ne meurt jamais, l'amour.

Mais tandis que je jouais il y avait aussi ma femme cet autre soleil qui avait tant brillé pour moi et auprès de qui j'avais tant trouvé chaleur et consolation. La maladie d'Alzheimer l'avait terrassée, elle ne bougeait plus de son fauteuil où je ne jetais plus que des regards distraits.

Ne faites pas comme moi jeunes gens, n'oubliez pas dans la dissipation de votre vie, dans ses distractions, ce qui fut pour vous foyer de vie, parce qu'il ne brille plus, parce qu'il s'éteint, parce que vous êtes vous-mêmes devenus foyer de vie.

Car même si chacun à sont tour devient foyer de vie, car même s'il y a plusieurs soleils dans l'univers, la conscience humaine est conscience de ce qui le réchauffe et qui l'éclaire et qui ne souffre pas l'éclipse, de là j'ai gardé mémoire de ma tante jadis foyer de vie.

L'impensé


Fort de ma lecture de Henry Bergson sur La Pensée et le Mouvant qu'ainsi il opposait, à mon tour je voulus porter mes fraîches connaissances sur un terrain que j'affectionnais et où j'aurais plaisir à les expérimenter.

Le mouvant c'est le temps et notre pensée aurait plutôt tendance à en avoir une idée arrêtée, à le segmenter en positions comme sur une ligne avec son point de départ et son point d'arrivé et de multiples points intermédiaires qui sont autant de positions figées ou d'arrêts.

On ne pourrait donc concevoir ou saisir le mobile qu'à partir de l'immobile, le mouvement (ou le mouvant) qu'à partir de ses différents arrêts. Cela n'était pas alors sans me renvoyer à ce que l'on appelle aux échecs le jeu positionnel qu'on oppose au jeu dynamique.

Mais l'étude du jeu d'échecs ne serait encore que trop peu dynamique pour être statique et analytique et académique, partant souvent de positions; comme une segmentation du déroulement de la partie en l'étude séparée des ouvertures, puis du milieu de jeu, puis enfin des finales.

De ceux qui ont très peu appris mais qu'on dit qu'ils apprennent très vite puisque très vite ils deviennent très forts aux échecs, et ce sont les enfants, je me demande alors si ce n'est pas au contraire de n'avoir pas été trop tôt arrêté par des connaissances répondant à un mode de pensée qui n'est pas celui du mouvant.

Tandis que leur esprit lui, oui, est mouvant, rapide et fluide, non lesté, non entravé, non empêtré de connaissances figées. Il faut les voir ces enfants débiter une variante de coups qui est comme une mouvante. 

Mouvante comme une déferlante, défaisant invariablement toute position qui avec elle reprend vie, est entraînée dans le mouvement qui est essentiellement changements, perturbations, déséquilibres et rééquilibrages in extrémis, vie qui est vie instable, mouvante, temporelle, mortelle.

C'est qu'ils aiment mater, faire échecs et mat, les enfants, que la vie les y conduit comme la vie conduit inéluctablement à la mort, et que c'est le sens du mouvant qui est le temps.

Ce ne serait donc pas qu'ils ont appris vite mais qu'ils n'ont pas a désapprendre, leur pensée file, ils n'ont plus qu'à la suivre, elle les conduira comme la vie à l'échec et mat. Ils aiment les parties qu'ils voient défiler sur Internet, moins l'image figée d'une position, analysée, commentée, dans les livres.

Les enfants aiment la tactique, les vieux la stratégie. La tactique varie, s'adapte aux changements continuels quand elle ne les provoque pas, tandis que la stratégie ignore qu'elle part de ce qui ne changerait pas sans quoi elle n'aboutirait pas à ce qu'elle croit pouvoir aboutir, puisque déjà elle s'y projette. 

Au déterminisme de la stratégie s'opposerait la vitalité de la tactique. Le vivant, le mouvant, le temps, l'évolution créatrice et parce que sans cesse créatrice jamais prévisible, seul l'est la mort au bout du temps qui nous est imparti, mais comme impensé, au bout du mouvant l'impensé.

lundi 9 juin 2025

Le vivre ensemble ou la fête des voisins


Le vivre ensemble je voudrais en prendre le contrepied, par provocation et par défi à la bien-pensance, et je commencerai par dire que si l'humanité peut encore se supporter c'est justement parce qu'elle n'a pas à vivre ensemble.

Ce que les animaux font: vivre en troupeaux n'est pas une panacée pour mon individualiste, c'est-à-dire pour celui qui se considère un individu à part entière et n'a donc pas besoin de s'ajouter ou d'être ajouté à quiconque pour former une unité à part entière.

Hier, c'était la fête des voisins mais y allait qui voulait. Je n'y suis pas allé mais de ma fenêtre je les voyais et les entendais parce que c'est à cette distance qu'il me plaisait de les voir et de les entendre plutôt que de m'y confondre et ajouter.

J'y ai donc participé à ma manière qui est distante et séparée, je pourrais même ajouter qu'il n'y a qu'ainsi que je pouvais l'apprécier et c'est sans y être mêlé. Cela ne m'empêche pas non plus d'aimer mes voisins mais toujours à ma façon distante et séparée et sans y être mêlé.

C'est sans doute une façon bien personnelle, bien particulière, mais si la vie en société est possible pour l'individu (pour ne pas dire pour l'individualiste) c'est parce que la société lui permet encore de s'aménager un espace vital qui est un espace personnel.

La présence de l'autre nous est bien trop imposée pour qu'elle nous soit imposée davantage sous prétexte du vivre ensemble qui doit relever d'un choix personnel et non d'une volonté politique.

Il y avait de la musique à la fête des voisins et ce n'était pas Albéniz qu'au même moment j'avais choisi d'écouter et si la fête des voisins avait continué une éternité j'aurais été privé une éternité d'écouter Albéniz.

Mais j'ai supporter de les entendre brailler comme d'entendre brailler leur musique parce que je savais que le bonheur et la joie en société est braillarde, et parce que je savais que la fête ne dure pas toujours.

C'est comme un moment de tempête: on peut aimer voir et entendre la tempête mais pas y être dans la tempête, et si pourquoi pas y être, pas y être tout le temps. Le vivre ensemble serait être tout le temps dans la tempête et c'est celle des passions humaines qui se déchaînent.

C'est qu'il n'y a pas de commune mesure entre les êtres humains aussi il ne peut y avoir de régime commun sans souffrances individuelles. Le régime carcéral est le régime communautaire, la prison, l'internat; enfin il faut y mettre l'homme de force car de lui-même il n'y va pas.

La politique de la gagne


Êtes-vous bien sûr que l'enfant s'amuse quand il joue ? Ce serait vrai s'il ne voulait pas déjà gagner. Ce serait vrai s'il n'y avait pas déjà un enjeu. Et ce n'est pas encore de l'argent. Et c'est déjà d'être le meilleur, meilleur que l'autre contre qui il joue.

Il est plus heureux après l'avoir battu, moins, s'il perd, on en a vu pleurer aux échecs, peut-être qu'il y avait les parents, peut-être que si les parents n'avaient pas été là, qu'ils auraient jouer entre eux les enfants, il n'y aurait eu que des cris et des rires mais pas de pleurs.

Il est vrai que les animaux quand ils jouent entre eux c'est déjà à des jeux qui les aguerrissent, les arme pour l'avenir quand ils auront à trouver leur nourriture eux-mêmes. Mais le temps est encore à l'amusement et à l'allaitement.

Et qu'est-ce qu'il a gagné celui qui a gagné ? Aux échecs on dit que l'on apprend plus d'une partie perdue. Elle nous révèle nos erreurs et insuffisances de jugement, nos faiblesses de calcul, qu'on n'est pas allé assez loin, qui, si l'on n'avait pas perdu, seraient passés inaperçus.

C'est vrai. Pourtant ce qui nous importe, comme ce n'est pas tant de s'amuser que de gagner, ce n'est pas tant non plus d'apprendre que de gagner. On voit que tout est assujetti à la gagne. On ne s'amuse plus. On n'apprend plus. On joue aux échecs comme on joue au loto pour gagner.

Il y a une méthode pour battre papa aux échecs, il pourrait (et c'est la même chose si papa nous a appris à jouer aux échecs) y en avoir une pour battre son professeur: ce n'est pas apprendre de papa ou du professeur qui importe mais de les battre. 

Aussi celui qui ne gagnerait rien à faire ce qu'il fait cesserait bientôt de faire ce qu'il fait si ce qui lui importe c'est gagner et qu'il perd. En tout, on apprendrait à gagner, la visée serait indépendante et indifférente à ce que l'on fait, simple prétexte à gagner.

La possibilité de la gagne serait co-existant à l'impossibilité de l'amusement. On ne peut pas s'amuser s'il faut absolument gagner. Aussi il y a qui s'étonne d'avoir perdu le goût de jouer et c'est parce qu'il ne joue plus vraiment, parce qu'il ne s'amuse plus.

Il lui faut retrouver cette liberté qu'il n'y a pas dans le travail mais dans le jeu tant qu'il n'est pas soumis aux mêmes impératifs que le travail qui est efficacité et rentabilité, où rien n'est gratuit ni librement consenti ni investi sans retour sur investissement.

D'un enfant qui n'aurait plus envie de jouer on serait en droit de s'alarmer: aurait-il perdu goût à la vie ? Et un enfant qui ne joue pas ne le trouverait t-on pas moins vivant ? C'est que la vie s'apparenterait plus au jeu qu'au travail dans sa liberté et gratuité d'action.


CITATION

La filosofía del hombre que trabaja y que juega, de Eugenio d'Ors: " La ciencia está orientada hacia la acción, sí. Pero la acción no siempre es utilitaria: unas veces es trabajo, juego otras; es decir elemento estético, Libertad. En todo conocimiento, en toda ciencia, hay una parte de Trabajo, otra de Juego."


dimanche 8 juin 2025

L'ingénu philosophe


Mon ami vers qui je reviens sait-il qu'entre temps j'ai lu Henri Bergson et Baruch Spinoza. On dit que les voyages forment la jeunesse mais la lecture des philosophes est bon au vieil âge s'il a quelque espoir encore de se trouver modifier comme on l'est toujours et c'est de l'intérieur.

Parce qu'il est à parier que mon ami n'y verra que du feux, que le même homme de toujours; mais que je changea d'un coup de brosse la disposition de mes cheveux et il voyait du changement là où il n'y en avait pas quand là où il y en aurait il n'en verrait point.

Aussi comme lui jadis j'avais revu mon maître de thèse qui après une longue absence revenait de La Casa de Velasquez et à défaut de cheveux, sans doute parce qu'il était chauve, c'est dans ses yeux que je voulais voir ce qu'il avait vu et je n'y vis que du feux.

Rien ne parle de nous au dehors et en dehors de nous. Henri Bergson aurait emporté avec lui sa conception du temps s'il ne nous en avait pas parlé, et Baruch Spinoza son conatus, cette idée qu'il avait que tout être s'efforce de persévérer dans son être.

C'est aussi dans les yeux que les amoureux se regardent et l'on dit que c'est la fenêtre de l'âme. Je crois néanmoins que l'on se regarde de moins en moins dans les yeux, mais que cherche t-on dans les écrans lumineux ?

La connaissance n'est-elle pas dans le regard que l'on porte sur les choses, c'est Husserl fondateur de la phénoménologie qui dit que "toute conscience est conscience de quelque chose", et pourtant le regard qui pénètre les choses reste impénétrable.

A travers lui pas de conscience qui se révèle à nous et pas davantage donc les modifications que cette conscience aurait pu subir, rien ne s'affiche vraiment que des émotions passagères, rien qui ne reflète un état psychologique nouveau, un changement de l'être dans sa conscience.

Cependant notre volonté de connaitre l'autre va rarement si loin, c'est qu'on l'aime rarement autant, que notre amour de l'être reste superficiel, ne touche pas à l'essence de l'être. En termes clairs on ne cherche pas vraiment à savoir qui il est, on s'en fout royalement.

L'existentialisme n'aurait plus lieu d'être parce que ce n'est pas l'être existentiel qui nous intéresserait mais l'être fonctionnel: non comment il est mais comment il fonctionne et s'il fonctionne bien, parfait, sinon tant pis pour lui, comme une mécanique à mettre au rebut. 

Les recherches en matière de santé s'orientent ainsi sur la découverte ou plutôt la réalisation ou fabrication de pièces de rechanges permettant à cette fonctionnalité de perdurer dans le temps car il ne s'agit plus tant de persévérer dans son être que dans sa fonction ou fonctionnalité.

On ne pose même plus la question: esprit es-tu là ? C'est la pure matérialité de l'existence qui intéresse, le corps comme celui de "l'animal machine" de René Descartes: simple assemblage de pièces et de rouages dénué de conscience ou de pensée.

Les temps morts


Il y aurait quelque chose de cruel non pas dans la mort mais dans l'approche de la mort, c'est qu'elle oblige à l'attente de son événement autant la personne destinée à elle que les personnes qui aussi par leur destinée sont attachées à cette personne.

Toutes se retrouvent malgré elles plongés dans l'attente de cet événement que tout le monde pourtant craint plus qu'il ne le souhaite ni pour lui-même ni pour qui il aime autant que lui-même sinon plus que lui-même, et je parle des morts et de leurs proches.

Le temps de l'attente, parce qu'il ne reste plus rien à faire ni a espérer, est toujours pour le vivant le temps le plus difficile à vivre et aussi, et certainement pour ce à quoi il est attaché, considéré comme un temps mort.

Si nous nous mettions maintenant à considérer une société non pas quantitativement mais qualitativement, et non pas par son étendue, non pas par le nombre et dans l'espace mais dans le temps, on dirait que celle qui se voit envahie par le temps mort de l'attente n'est pas très vivante.

Il est plus facile de considérer il est vrai la cruauté comme le fait de la présence agissante et puissante que de l'absence inactive et inopérante ou impuissante, il n'empêche que ce serait celle qui s'opposerait le plus à l'être vivant en ce qu'il a de vivant ou de plus vivant.

Ce qui poserait problème ne serait pas tant la mort, on s'y fait, mais le temps mort, on ne s'y fait jamais, parce que le temps mort on a à le vivre tandis que la mort on n'a pas à la vivre, on est mort. Or, il semblerait que la société ne se pose pas la question du temps mort.

A croire qu'elle n'est pas vivante la société, que seul l'individu qui est vivant en souffre de l'attente, parce que ces temps morts se produisent de son vivant et de façon de plus en plus fréquente et prolongée.

Il y a cependant en eux une cruauté indéniable, et l'on voit à quoi ils renvoient, mais ce que l'on est prêt à supporter comme attente pour nos mourants qu'on accompagne c'est afin que la mort leur soit moins cruelle, quand notre souffrance ne diminue en rien celle de la file d'attente.

On est doublement patient chez le médecin ou dentiste ou autres spécialistes, prodiguant cette même patience qu' on a au supermarché ou au spectacle ou chez le notaire, ou parfois pour satisfaire un besoin naturel: boire, manger, dormir … tous contrariés par l'attente.

Meubler l'attente serait non pas rendre vivants mais moins mortels les temps morts, qu'ils ne nous tuent pas à petits feux ou nous rappellent moins cet instant crucial pour ne pas dire mortel qui saura aussi mettre fin à toute attente, à tous ces temps morts. 


CITATION

Si pour la société le temps est une notion abstraite pour Henri Bergson le philosophe il en est autrement: " Quand on veut préparer un verre d'eau sucré force est bien d'attendre que le sucre fonde. Cette nécessité d'attendre est le fait significatif. Elle exprime que, si l'on peut découper dans l'univers des systèmes pour lesquels le temps n'est qu'une abstraction, une relation, un nombre, l'univers lui-même est autre chose". La Pensée et le Mouvant. Où s'oppose temps et "durée pure" qui est le temps de l'expérience et du vécu.

samedi 7 juin 2025

L'individualiste (12) et les dinosaures


La société a ses dinosaures, espèce toujours en voie de disparition ou plutôt qu'on croirait disparus, autrement dit dont la présence ne peut que surprendre. Ils se distinguent par leur mode d'être qui, puisqu'il s'agit d'êtres pensants, est leur mode de pensée, un mode de pensée archaïque.

Ils sont intéressant en cela qu'ils nous révèlent l'existence d'une société que la plupart d'entre nous estiment être révolue mais que certains faits divers rappellent à l'actualité et ce serait ceux d'une société qui marquerait elle aussi un certain recul.

Ce recul s'il fallait le préciser on dirait que c'est un recul par rapport à l'évolution des mentalités plus donc que de la société elle même dont la structure rigide, le bâti, permet encore aux dinosaures de sévir en leur procurant toujours les lieux où le milieu adéquat à leurs agissements.

Ils passent alors à nos yeux pour de grands prédateurs, ce qu'ils ne peuvent comprendre puisque dans leur milieu leurs agissements passaient pour conformes et parce qu'ils n'ont pas perçu en ce milieu de changements notoires ou les obligeant à évoluer ils n'y a aucune raison qu'ils changent.

C'est qu'une société passée ne s'éteindrait pas également partout, comme il y a certains lieux où l'on peut retrouver les vestiges d'une civilisation ancienne il y aurait certains milieux au sein de la société actuelle où pourrait perdurer certains traits d'une société qu'on dirait archaïque.

Ce qui est plus étonnant encore c'est que ces lieux ou milieux soient ceux qui se donnent comme à l'avant garde de la société, sa figure de proue, et c'est dans le milieu du cinéma comme dans les milieux gouvernementaux que sévissent les dinosaures: Strauss-Kahn, Depardieu, pour ne pas les citer.

Ceux là ont défrayés la chronique mais plus intéressant que de s'en prendre aux dinosaures serait comprendre la structure de la société non pas seulement matérielle mais mentale, extérieure et apparente mais intérieure et cachée, qui permet aux dinosaures de trouver asile en des lieux privilégiés.

M'ont également aidés à les comprendre Ortega y Gasset un penseur de la société du XXème siècle (donc passée) et un metteur en scène de ce même siècle dont le mode de pensée m'a semblé coïncider et c'est par leur acceptation de ce qui au regard d'aujourd'hui paraitrait pour le moins abjecte.

"Hay quien alcanzaría la plena expansión de sí mismo ocupando un lugar secundario, y el afán de situarse en primer plano aniquila toda su virtud." écrivait dans Meditaciones del Quijote Ortega y Gasset.

Cette pleine expansion de soi même en occupant un poste secondaire, quand l'ambition de se situer à un premier plan tuerait toute vertu on le retrouve dans les propos tenus par Alain Jessua le metteur en scène d'un film passé de mode pour ne pas dire désuet: La vie à l'envers.

Alain Jessua, personne très respectée en son temps comme pouvait l'être Ortega y Gasset, mais qui le serait moins aujourd'hui et pour les mêmes propos, disait qu'il était devenu metteur en scène parce que s'il était un bon deuxième assistant il aurait été un piètre premier assistant.

Alain Jessua pour qui au cinéma c'était comme à l'armée, la hiérarchie, le bizutage, que des jeux de rôle auxquels il fallait savoir se prêter (y incluerait-il le droit de cuissage?) était pour le moins un homme de son temps et pour le nôtre un dinosaure.

L'individualiste (11)


On peut entendre que la société soit faite pour le plus grand nombre en quoi elle ne serait pas si mal faite que cela, mais ce serait encore si le plus grand nombre voulait être le plus grand nombre.

Et c'est pourtant comme cela qu'elle le considère puisque son action porte sur le plus grand nombre, aussi comme s'il était stable et non mouvant, aussi comme si le plus grand nombre voulait être le plus grand nombre.

Et c'est pourquoi elle est dépassée et toujours en état d'être dépassée dans sa considération du plus grand nombre et du plus grand nombre comme donnée stable.

On voit alors l'écart se creuser entre l'individu et la société, l'individu qui ne peut être qu'un et qu'un changeant, un mobile dans le temps, rien de plus difficile à saisir pour la société qui veut le ramener au plus grand nombre (ou dénominateur commun) et à la plus grande stabilité.

On pourrait en ce sens opposer non pas tant société de masse et société d'élite que société statique et société dynamique ou mieux encore société du vivant et société de l'inerte ou de l'inertie ou de l'être chosifié. 

C'est que ce n'est pas tant l'idée de progrès que l'idée du vivant, ce n'est pas tant le renvoi au progrès technique qui renvoie aux choses que le renvoi au vivant qui renvoie à l'individu qui n'est jamais le plus grand nombre.

Il suffit de demander à un individu quelconque s'il est ou se considère le plus grand nombre pour s'apercevoir qu'aucun n'entre dans le plus grand nombre comme la main dans un gant, aussi il n'entre pas dans la société comme la main dans un gant qui en outre ne serait pas fait sur mesure.

Bien sûr, il n'est pas à la société de faire du sur mesure et c'est pourquoi elle doit toujours voir grand, très grand, ce qui est aussi voir en avant, très en avant, parce que vite, trop vite, l'homme qui grandit se sentira à l'étroit dans les vêtements de la société.

La société est sa chose à l'individu et non l'inverse comme la société a tendance à le penser: que l'individu est sa chose. Et si elle n'est pas sa chose, faite par lui pour lui, elle doit le redevenir à moins que devenue inutile et embarrassante il puisse s'en débarrasser tout à fait.

Et ce serait se débarrasser de tout ce qui dans la société se serait chosifié ou figé, pour ne pas dire trop institutionnalisé, pour ne pas dire trop déshumanisé, ayant perdu ce caractère dynamique et créatif et évolutif qui est le propre du vivant c'est-à-dire de l'individu.

vendredi 6 juin 2025

L'individualiste (10)


Comme je lui demandais quand la société commençait pour lui il me répondit avec toi pour moi et avec moi pour toi et c'était une société amicale, sur la même ligne de pensée on aurait pu dire que la société commençait par la femme et sa progéniture.

C'est oublier qu'il en est une autre qui commence par l'Etat. Mais oublions la, parce que ces paroles de mon ami pour qui la société commence par l'autre ne me renvoie pas à l'Etat mais à l'individu qui est cet autre qu'aurait oublié l'Etat pour ne pas dire la société actuelle et étatique.

Or une société qui aurait oublié l'individu ou, ce qui revient au même, l'aurait troqué pour les individus eux-mêmes tronqués en électeurs potentiels, ne serait donc plus légitime aux yeux de mon ami qui me reproche pourtant de ne pas aller voter.

Cette soumission au plus grand nombre étant largement acceptée et confondue avec l'idée que l'individu aurait sa voie quand elle se perd et se confond avec celle de la majorité qui est celle du plus grand nombre. 

Comment ne voit on pas là une façon comme une autre de faire taire une voix personnelle car la voix de l'individu ne peut être qu'une voix personnelle et c'est cette voix personnelle que l'on cherche à faire taire dans la société impersonnelle et inhumaine, seul l'individu est l'humain.

Qu'est-ce que l'expression du peuple? tout le monde veut-il faire peuple? Faire peuple est-il la meilleure façon d'être humain, de faire l'humanité? Plutôt que de vouloir faire le peuple pourquoi ne voudrait t-on pas faire l'individu? 

Ce serait trop classe? Qui ne voudrait pas être classe? Avoir de la classe. Quant on dit à un individu qu'il a de la classe il ne s'en insurge pas et Jules Vallès qui a écrit L'insurgé avait de la classe comme individu et comme écrivain un style, et le style (ne dit-on pas) c'est l'homme.

Plaider la cause de l'individu n'est pas non plus vouloir Ubu roi mais qu'il ne le soit que dans la pièce d'Alfred Jarry et pas dans la société fût-elle démocratique, c'est-à-dire avec une cour plus nombreuse et non moins privilégiée aussi que couronnée d'une tête se voulant toujours royale.

Ainsi se voudra-t-elle toujours, car il y aura toujours des hommes qui voudront régner sur des hommes or l'on peut vouloir que ces hommes ne soient pas peuple ou ne fassent pas peuple, mais soient des individus à part entière sur qui par conséquent on ne règne pas si facilement.

L'individualiste (9)


Il faut réinjecté de l'humain. Il faut un Jean Marie Tjibaou, il faut un Anouard el Sadate, l'un en Nouvelle Calédonie, l'autre en Egypte, pour qu'il y ait poignée de main, fraternité. Mais les deux ont été assassiné et avec eux la fraternité entre les humains.

La société elle ne meurt jamais. Et c'est ce qu'elle a d'inhumain. A son enseigne il y a les fonctionnaires. Les fonctionnaires ne meurent jamais. Ils sont remplacés ou remplaçables pour la société. C'est le traitement qu'elle a de l'humain. Supprimer ou remplacer.

Il y a un moment où le fonctionnaire prend le dessus sur l'humain et c'est la machine sociale qui entre en marche prête à broyer de l'humain et le premier est l'homme que la fonction broie, le fonctionnaire lui-même. La société est une machine de guerre.

Une machine de guerre qui va jusqu'à se retourner contre ses propres serviteurs et ses plus grands serviteurs sont les serviteurs de l'Etat, de l'Etat qu'on dit à lui tout seul être la société; et ils le sont en effet à son point le plus déshumanisé puisqu'ils sont au service de l'Etat.

Cervantes, l'auteur du Don Quichotte, était collecteur d'impôts. Eh bien, je crois que Walden Thoreau, l'auteur de La désobéissance civile, ne se serait pas avec lui retrouvé en prison, parce qu'il aurait vu en Cervantes non pas le collecteur d'impôt mais l'homme.

L'homme à qui tout homme est prêt à payer son tribut qui est l'homme au service de l'homme, l'homme qui n'aurait pas oublié l'homme même quand il est au service de l'Etat et c'est quand ces hommes se rencontrent qu'il y a poignée de main pour un accord humain et fraternel.

Les grands hommes ne sont rien d'autres que ceux qui n'ont pas oublié l'homme, l'homme dans sa singularité, l'homme dans sa particularité, c'est-à-dire l'homme dans son humanité, et non pas les hommes qui sont la société, qui seraient l'être social, l'amputé de l'humanité.

L'être social qui n'a que le mot société à la bouche, qui ne sait pas parler d'autre chose que d'actualité et c'est cette actualité médiatisée, politisée, qui n'a rien à voir avec celle qui lui est donnée de vivre, qui lui serait donnée de vivre s'il revenait à lui-même, à l'homme qu'il est.

Il faut réinjecter de l'humain dans l'être social et non du social dans l'être humain. Et il faut réinjecter de l'humain dans le fonctionnaire qui est celui qui s'en est le plus éloigné de par sa fonction et parce que fonction oblige, quand l'humain ne doit se sentir obligé que vis à vis de l'humain.


CITATION

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre VI, 30 "Prends garde de te césariser. Ne te laisse pas imprégner par la pourpre, car cela arrive … 

33 "Ni pour la main, ni pour le pied, la peine n'est contre nature, tant que le pied remplit les tâches propres au pied, et la main, les tâches propres à la main. De même, donc, pour l'homme en tant qu'homme, la peine n'est pas contre nature tant qu'il remplit ses tâches d'homme. Si elle n'est pas pour lui contre nature, elle n'est pas non plus un mal pour lui." 

jeudi 5 juin 2025

Un individualiste (7) forcené


J'étais parti de moi, de qui voulez vous que je parte, je ne peux pas partir de la société, je ne suis pas la société, je suis moi; et à qui croyez vous que je sois arrivé, à la société, non, à l'autre, qui n'est pas plus que moi la société.

C'est que je ne pense pas comme la société pense, je pense à l'autre tandis que la société pense aux autres; ma pensée n'est pas sociale, ma pensée est humaine.

Si la société peut penser tous les hommes à la fois je ne peux penser qu'à un homme à la fois; et c'est qu'il est unique pour moi, et c'est qu'il est multiple pour la société.

Maintenant la société voudrait que je pense comme elle, il ne serait pas bon de penser comme moi je pense; mais je ne peux penser autrement que comme je pense, c'est-à-dire humainement et non pas socialement, parce que je suis un humain et pas la société.

La société que j'accuse même et surtout quand elle pense socialement de ne pas penser humainement; mais comment pourrait-elle faire autrement, elle ne peut avoir qu'une pensée sociale, c'est la société, mais jamais une pensée humaine, elle n'est pas moi, un individu.

Le traitement de l'humain par l'humain est individuel tandis que le traitement de l'humain par la société ne peut être que pluriel; c'est pourquoi il ne faut pas demander à l'individu d'être la société car il cesserait alors d'être humain ni attendre de la société beaucoup d'humanité.

L'individu n'en gagne pas à être social mais à rester humain et c'est dans son rapport à l'autre, non dans son rapport aux autres. Le rapport de l'individu est un rapport individuel; si ce rapport d'individu à individu se perd il n'y aura pas de rapports aux autres qui le rachète.

La société voudrait lui apprendre à aimer comme elle aime et c'est les autres sans distinction aucune, pour cela il les lui faut rendre tous semblables parce qu'elle ne pourrait les aimer tous s'ils étaient tous différents les uns des autres.

Quand l'individu ne peut aimer que chacun et séparément et différemment. A les lui rendre tous semblables elle ne les lui rend pas plus aimables mais plus indifférents.


CITATION

Comment résister à citer ce qui est si joliment dit:"Prefiramos sobre la tierra una indócil diversidad a una monótona coincidencia" Meditaciones del Quijote de Ortega y Gasset. 

L'individualiste (8)


Je voudrais, dit-il, parler de la force d'exister. On ne peut pas parler de la force d'exister quand on parle de la société. La force d'exister est propre à l'individu. C'est pourquoi il ne semble pas beaucoup intéresser la société d'en parler.

A ce propos il y a cette expression qui me revient et qu'on entend presque plus: sacré énergumène. Sans doute était ce dû à cette force d'exister qui se déployait de façon trop outrancière, ce qu'elle est toujours pour la société propre à réprimer l'individu.

Ce que fait la société c'est de réprimer sinon de canaliser cette force d'exister de sorte à l'orienter là où il intéresse la société, et ce qui concourt à la puissance de la société concourt alors souvent et également à l'épuisement de la force d'exister de l'individu.

L'exigence de la société en matière de ressources premières n'est pas plus problématique que l'exigence tout aussi croissante de la société en matière de ressource naturelle à l'individu qui est sa force d'exister.

Sans doute cette force d'exister n'a jamais atteint un taux aussi bas que dans les pays dit développés: ce n'est pas que du muscle c'est aussi des nerfs mais c'est surtout et avant tout une grande et formidable envie d'exister comparable à la joie.

A l'en croire la joie d'exister nous aurait quitté et ce serait parce que trop exploité par la société notre force d'exister se serait épuisée. Pour ce sacré énergumène qui n'était personne d'autre que notre individualiste forcené il fallait redonner à l'individu le goût de vivre.

Et pour pouvoir goûter à la vie un peu de force vitale qui semblait lui manquer la lui laisser puiser en lui et c'était ne pas trop se l'accaparer comme il lui semblait que faisait la société.

Quand l'impression inverse lui est donnée comme reprochée, que c'est en elle la société qu'il puise "plus souvent qu'à son tour" ses forces, épuisant les ressources de la société tout en voulant que ce soit là qu'il les aille chercher, créant ainsi sa dépendance vis à vis d'elle.

Tout au contraire il lui faudrait sinon se retirer entièrement du moins prendre quelque recul pour se retrouver et se retrouvant retrouver goût à la vie, car seul de lui émane la vie, et des forces de vie qui sont sources de joie.


CITATION

Pensées pour moi-même Livre VI de Marc Aurèle 29 "Il est honteux que, dans cette vie où le corps, pour toi, ne renonce pas à sa tâche, l'âme soit la première à y renoncer." 

mercredi 4 juin 2025

Une pensée chien


Je n'ai plus de chien. Est-ce dire que je n'ai plus une pensée chien car longtemps j'ai pensé pour mon chien. J'étais mon chien. Je regardais comme regardait mon chien. Et jamais plus haut que les herbes. Jamais mon regard ne s'élevait jusqu'au ciel.

Les odeurs je commençais aussi à les flairer. Les autres chiens à ne pas les sentir si mon chien ne les sentait pas. Je remuais encore la queue pour les humains qui me plaisaient, et grognait contre qui je craignais; je pouvais aussi être chien.

Il n'y avait plus d'hôtel ou de restaurant ou de compartiment de train où l'on n'acceptait pas les noirs et les chiens, mais il y en avait encore où l'on n'acceptait pas les chiens, et comme je pensais pour mon chien je devais y penser. Je n'y pense plus depuis que mon chien n'est plus.

Je pensais à la gamelle de mon chien comme si c'était la mienne de gamelle et aux sorties de mon chien qui étaient aussi les miennes de sorties et à nos rencontres qui étaient des rencontres canines. C'est que mon chien me faisait mener une vie de chien.

Je commence a oublier ce que c'est qu'une vie de chien depuis que je n'ai plus de chien, comme ceux qui sont à la retraite commencent à oublier ce qu'est une vie de travail; aussi comme ils commencent à oublier ce que c'est penser travail j'oublis ce que c'est que penser chien.

Mais j'ai une pensée pour ceux qui ont un travail comme pour ceux qui ont un chien car ils sont en laisse et à l'autre bout de la laisse, que ce soit par un chien ou par un travail qu'on les tient, il y a la société et c'est elle qui tient la laisse.

Qui pense chien ou qui pense travail la société ne viendrait pas le lui reprocher mais qui pense comme qui n'a plus de travail et n'a plus de chien, c'est qu'il n'est plus tenu en laisse, c'est qu'elle pourrait se sentir par lui menacée la société.

Mais il y a la culture et après une pensée chien une pensée cultivée. La laisse devient plus subtile, moins visible, on la sent moins tirer à la société, on se sent plus libre parce qu'il y aurait une liberté de penser, du moins une pensée qui ne serait plus une pensée chien.

CITATION

Cool memories de Jean Baudrillard: "A Rome, Niccolini réussit à conjurer la hantise terroriste par la relance culturelle. Aux Romains qui n'osent plus sortir le soir, il offre des fêtes, des performances, des meeting poétiques, il fait descendre la culture dans la rue. Il combat la fête terroriste par la fête culturelle et publicitaire […] le seul moyen de lutter contre le terrorisme n'est pas de créer des institutions solides, c'est de mettre en scène une culture aussi sacrificielle, excentrique et sans lendemain que les actes terroristes eux-mêmes … "

La bride (de la société)


Louer ou vilipender, porter aux nues ou mettre plus bas que terre, n'est pas dialoguer; et rétablir le dialogue avec nos illustres prédécesseurs n'est pas davantage en dire que du bien qu'en dire que du mal.

J'ai déjà beaucoup citer et en bien Ortega y Gasset mais je n'ai pas beaucoup aimé entre autre trouver sous sa plume "Este vivir el hueco de la propia vida fue la restauración." et ce n'est pas que j'ai un faible pour la restauration (en Espagne comme en France).

Mais je vois là plutôt la bride de la société, de ce qu'une société se trouve à certaine époque plus qu'à d'autre bridée de ce qui en fait la force et c'est l'individu; à sa force, à sa percée qu'elle s'est fermée, parce que d'elle et de lui s'est trop protégée, blindée la société.

On se plaint qu'il n'y a plus de génies comme qu'il n'y ait plus de personnalités hors du commun, faudrait-il attendre les guerres pour en appeler à leur force parce qu'en temps de paix cette force qui est d'intelligence ou de tempérament on la craindrait et s'en défendrait.

Je n'aime pas ces jugements sur la société comme si elle était faite d'une seule personne qu'on appellerait l'Etat ou le gouvernement et ses institutions, qu'il n'existerait personne à part eux, ce qui est nié l'existence de l'individu.

Et ce que la société a trop tendance à faire il arrive qu'elle le fasse tout à fait. Alors, plus de génies, plus de grands hommes, plus que cette intelligence dont parle Ortega Y Gasset. 

"chargée de susciter et d'organiser les intérêts tranquilles et statiques, comme le bon gouvernement, l'économie, l'augmentation des moyens, de la technique". Il l'aurait voulu pour l'Espagne de la Restauration. Qui la voudrait pour la France d'aujourd'hui ?

Et c'est à tous les niveaux que la société se sent bridé quand elle est bridée, pas une partie libre en elle et qui ne bouge librement, et jamais on a autant parlé de liberté, ne serait-ce pas parce qu'on s'en sent privé ou plus précisément parce qu'on ne la sent plus.

C'est que toute liberté est liberté de respirer et que toute liberté de respirer est comme une expansion de l'être quand il n'y a plus que recroquevillement ou rétrécissement de l'être, un être essoufflé, asthmatique, allergique dans la société de toutes les allergies.

Le bûcheron de La Fontaine qui "Sous le fait des fagots aussi bien que des ans/Gémissant et courbé marchait à pas pesant" ne sentait pas la bride de la société de qui va soupirant, hoquetant, de qui, s'il est toujours le moteur de la société (et c'est ce moteur qui est bridé), n'est plus qu'un moteur hoquetant.