Qu'un homme seul peut mal penser. C'est que sa pensée n'est pas corrigée par la pensée des autres pensées. Chaque pensée n'étant qu'une empressée a donner à l'autre pensée une sévère correction. Aussi il n'y a d'autre pensée que corrigée. Et nous n'aimons pas tant la pensée que sa correction. Aussi une pensée non corrigée nous apparait fort déplaisante à nous qui n'avons alors de hâte que de la corriger. Il n'y a pas d'autre incitation à penser. Une pensée est alors d'autant plus correcte qu'elle a été de fois corrigée, approche la perfection en vue du nombre de corrections qu'elle a reçue. Comme nous aimons les pensées corrigées. Au point que nous appellerons pensée pure la pensée qui a force de corrections aurait été purgé de toute pensée, une pensée qui serait pure correction. Je n'ose trop y penser.
Qui se fait encore une fête de penser si pensée faite est aussitôt défaite, si la pensée est fête et est défaite. Oui qui se réjouie encore de penser oublie de quoi est faîte la trame de la pensée qui ne prend plus de poissons dans ses filets. Imaginez un filet à qui on ne laisserait pas le temps d'être filet parce qu'aussitôt fait aussitôt défait. Pauvres pêcheurs. Pauvres penseurs. Et inutiles censeurs. La pensée fait bien assez de mal comme ça aux penseurs pour qu'aussitôt faite il ne pense pas aussitôt à s'en défaire. A moins qu'ils ne soient comme ses pêcheurs sur la jetée constamment à repriser les mailles de leurs filets, c'est tout un art, c'est tout un métier. Malin poisson qui ne s'y fait pas prendre.
Celui qui assoit sa pensée dans le langage est comme celui qui s'assoit sur n'importe quel siège qui n'est pas davantage fait pour lui que pour un autre, aussi sa pensée n'y trouve pas une place plus personnelle que la pensée de n'importe qui d'autre que lui qui s'y serait assis avant lui comme en même temps que lui: il s'y accommode, accommode sa pensée au langage plus que le langage à sa pensée; mais celui qui écrit est comme celui qui est assit le cul entre deux chaises: la chaise du langage et la chaise de sa pensée, autant dire qu'il n'y a pas de position plus inconfortable, plus intenable.
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