Ma femme ne sera jamais morte pour moi, ce n'est pas que je le souhaite mais que je le crains, mon père qui est mort depuis longtemps n'est pas mort pour moi pour autant que je l'eusse voulu, et ma mère que je donne pour morte mais qui ne l'est pas encore ne le sera non plus jamais pour moi; nos parents d'abord certes, mais aussi et à fortiori les femmes que l'on a aimées et que l'on ne cessera jamais d'aimer, même si entre-temps l'on en aimerait d'autres.
Mais chercherais-je en parlant de la mort à l'apprivoiser. Elle m'est en tout cas de plus en plus familière, autant dire de plus en plus proche et si proche dernièrement ou récemment qu'en affectant ceux qu'elle affecte elle m'affecte à moi et comme en revanche ils ont perdus toute sensibilité je suis finalement le seul qu'elle affecte sans l'affecter vraiment.
Ce tant d'existence qu'on leur a donnée ne pourrait certes pas durer longtemps sans le moindre signe d'existence de leur part si nous ne venions à notre tour leur prêter (main forte) de notre existence qui est d'abord conscience d'exister, conscience de la nôtre comme de la leur qui ne nous est pas si étrangère mais si proche.
C'est Louis qui me disait l'autre jour que tant qu'on pense à eux ils continuent d'exister (pour nous) mais je crois aussi qu'on pense à eux pour continuer d'exister (nous et non pas eux) et ça me renvoie aux Kanak et à l'esprit des ancêtres. Pour Louis c'était le problème: qui continuait à penser non pas à son père, ni même au père de son père, mais au père du père de son père? C'est pourquoi les Kanak de Nouvelle-Calédonie vouaient un culte aux ancêtres.
Et c'était la force de la tribu, ce n'était pas un culte à vocation morbide mais plutôt que les Kanak tiraient leur force d'existence de ceux dont ils célébraient la force d'existence et qui la leur communiquaient ou afin qu'ils la leur communiquent. Aussi puisque je ne peux pas oublier davantage ma femme que mes parents j'aspire, plutôt que de me morfondre à penser à elle qui n'est plus, à puiser de sa forte existence passée, d'elle qui a eu tant d'existence pour moi, un peu de force pour continuer la mienne d'existence, si exsangue, si peu animée, et plutôt que de m'éteindre la réanimer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire