vendredi 18 juillet 2025

L'espérance de vie


Je crois que l'espérance de vie a remplacé la mort, qu'on ne dit plus je vais mourir mais qu'on mesure un peu ce qui nous reste à vivre comme un capital qui tendrait petit à petit à s'épuiser mais que la maladie peut réduire de façon plus ou moins drastique aussi qu'un accident cette fois-ci réduire à néant; mais il faut entendre que c'est toujours de la vie que l'on parle, à la vie que l'on songe, jamais à la mort.

Si bien que la mort vient soudain interrompre une espérance qui est espérance de vie, aussi courte fût-elle; et ce terme qu'elle met à la vie est toujours inattendue parce que l'espérance est elle toute tendue vers la vie; c'est sans doute aussi qu'on espère plus rien au-delà. Et ceux qui s'absentent en rien ne nous renvoient à la présence de Dieu sinon à leur propre présence que leur absence même nous rappelle en vain.

Je dis j'ai perdu quelqu'un. C'est l'expression la plus naturelle qui me vient. Elle ne dit rien de la mort. Elle ne dit rien de Dieu. C'est la parole d'un païen. Et elle l'est d'autant que quand je la profère, c'est, je le répète, tout naturellement qu'elle me vient. Il n'est pas sûr qu'elle fut venue ainsi à un homme d'un autre temps qu'on dira plus croyant. Car je peux encore avoir de la religion sans plus croire.

Car croire serait croire à une vie après la mort et pour cela il faudrait déjà penser à la mort, se pencher sur le sujet, or le sujet n'est plus d'actualité. On pense à la vie ici et maintenant et si l'on pense à son éventuel prolongement c'est encore ici et maintenant d'où l'euthanasie pose problème: c'est penser à la mort, c'est repenser à la mort comme on n'y pense plus, et quand on n'y pense plus.

Ils ne l'alimentaient plus. Ils ne lui donnaient que de la morphine. Autant dire qu'ils lui administraient la mort. Ce fut le plus pénible a accepter. Il ne s'agissait plus d'espérance de vie. Tout ce qu'on pouvait espérer pour elle c'était la mort et le plus tôt serait le mieux. La morphine n'avait pour effet que de lui éviter des souffrances inutiles. Comme la souffrance augmentait il fallait augmenter la dose bientôt mortelle.

Comment devenir l'artisan de la mort de l'autre si cher à notre vie, combien même ce serait pour lui éviter de souffrir, quand toutes nos espérances sont tournées vers la vie. C'est brutalement non seulement avoir à penser à la mort mais qui plus est l'accepter, la souhaiter. C'est si contraire à notre mode d'exister auquel correspond un mode de pensée d'où la mort est exclue, où tout est espérance et espérance de vie.

CITATION

De Marguerite Yourcenar dans l'Œuvre au noir: "Il faut chérir quelqu'un pour s'apercevoir qu'il est scandaleux que la créature meure..."

1 commentaire:

  1. Je n'ai pas tout lu. Mais je sais qu'il est important de lire. Et d'écrire. Alors là bravo ! Ph Pierlot - ppierlot@wanadoo.fr

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