"Il jouait du piano debout" c'est peut-être un détail pour vous mais pour Michel Berger et France Gall ça veut dire beaucoup. ça voudrait dire beaucoup aussi pour Alain le philosophe qui n'est pas indifférent non plus à la relation corps esprit où il voit plus qu'une attitude dans la vie mais une pensée ou comment on pense et pourquoi pas debout comme le faisait Aristote avec ses élèves: en marchant. Alain lui écrira (entre autres) "Si vous voulez saisir l'animal pensant dans ses réelles poésies, si souvent imprévisibles, toujours instables, regardez ses mains, regardez ce qu'il fait, s'il est assis ou levé, quel outil il tient, si sa barbe est faite, s'il a un chapeau pointu ou un bonnet de nuit."
C'est qu'Alain serait davantage trompé par les apparences que par les profondeurs de l'inconscient auquel il ne croit pas, du moins se défend de croire dans ses Propos. Mais si l'on est ni Michel Berger et France Gall ni Alain, ni chanteur ni philosophe, mais un simple lecteur, on peut néanmoins s'interroger sur ses lectures. A la recherche du temps perdu de Proust qui a été écrit couché invite à se poser pour ne pas dire à se coucher pour le lire et d'entrer avec lui dans un état de semi somnolence ou pensées et rêveries sont mêlées. On pourrait aussi parler de sensibilité maladive qui pourrait être reproché non pas bien entendu aux auteurs mais à ceux qui à la lecture de leurs ouvrages la développerait cette sensibilité maladive.
Si je dis cela c'est que malade je lisais alors beaucoup et c'était quand il me fut reproché d'avoir une sensibilité maladive que bien entendu jamais lecture n'a guérie. Sans vouloir en dire le plus grand mal (de la lecture) parce que toujours (quoique beaucoup moins, sont passés les premiers amours) je la chérie. Je dis aussi l'avoir souvent contré (ma sensibilité maladive) par la pratique du sport et avoir constaté que cela me rendait alors plus apte que la lecture aux contacts plus rudes du quotidien et de mon milieu auxquels ma condition laborieuse me soumettait. C'est qu'il m'est étrange de penser que les livres seraient écrits par des êtres chétifs et maladifs pour des êtres rustres et bien portants, connaissant du moins davantage qu'eux la position debout comme pour qu'ils aient une pensée plus assise, voire comprennent mieux à défaut de sentir vraiment une sensibilité qui serait celle de l'homme couché et souffreteux.
Il n'empêche qu'on peut non seulement jouer du piano debout mais lire debout, c'est-à-dire en marchant, et pourquoi pas ces pensées là qui elles mêmes auraient été écrites en marchant comme la philosophie d'Aristote, aussi que d'autres philosophes pour qui la pensée est action plus que rêveries nonchalantes. Mais si à chaque état du corps correspond un état de la pensée et tout état de l'un et de l'autre étant un état de l'homme vivant il ne doit se refuser aucune lecture qui ne lui fasse du bien; ne lui ferait cependant du bien que ce qui correspondrait à son état pour ne pas dire à sa condition, c'est-à-dire l'aiderait à la surmonter plutôt que de l'en affliger. Comme on doit savoir quelle nourriture donner à son corps on doit savoir quelle nourriture donner à son esprit, et l'une comme l'autre varie en fonction de l'âge et de la condition. Ce n'est pas parce que ce roman vaut pour toi qu'il vaut pour moi qui doit encore tenir debout (et je me refuse encore à lire le plus grand écrivain français).
CITATION
Propos d'Alain: "l'homme triste trouve à dire que le bonheur est un effet et non une cause; c'est trop simplifier. La force fait qu'on aime la gymnastique; mais la gymnastique volontaire donne force."
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