dimanche 16 mars 2025

L'hospitalité


J'ai été longtemps sans comprendre et je crois même pouvoir dire que je ne comprends qu'aujourd'hui ce que mon ami malgache après m'avoir invité chez lui, c'était une petite chambre comme la mienne louée aussi au mois dans un hôtel miteux, le dimanche qui était son jour de repos, parce qu'il avait dans la semaine un travail qui le nourrissait à peine, et c'était de la brisure de riz cuite dans un rice cooker (j'apprenais alors que quand on n'avait pas de quoi s'acheter du riz on pouvait encore s'acheter de la brisure de riz comme l'existence de cet ustensile pratique pour qui ne saurait pas faire cuire le riz) accompagné de poulet sans doute nourrit aux hormones mais qui n'était cependant pas sans m'évoquer la poule au pot du bon roi Henri.

Je m'asseyais donc chez mon ami qui me disait aussitôt que j'eus pris place dans l'unique pièce qui lui faisait à la fois office de cuisine, de salle à manger et de chambre: "fais comme chez toi mais n'oublies pas que tu es chez moi". Il faut dire que j'étais un peu surpris mais il me souriait en même temps comme pour me signifier qu'il plaisantait, et pour me rassurer après m'avoir inquiété, ce qui est je crois le propre de toute plaisanterie, après vous avoir déstabilisé de vous faire retrouver votre assise, je ne pris donc pas la mouche mais la cuisse de poulet qu'il mit généreusement dans mon assiette où avait déjà trouvé place la brisure de riz. Et je n'ai à vrai dire jamais aussi bien mangé. Et c'est que nous avions faim l'un et l'autre, et c'est qu'un bon repas n'est jamais mieux agrémenté que par la conversation de deux bons amis comme nous l'étions en ce temps là, car ce sont les circonstances qui font les bons amis comme ce sont les circonstances qui les séparent.

Je le dis maintenant que nous ne nous voyons plus et que j'ai appris je ne sais si d'Aristote ou de Plutarque ou de Montaigne et de son ami La Boétie que l'amitié se tient bien au-dessus des circonstances, que l'amitié de circonstances n'est pas l'amitié de Montaigne et de La Boétie, pas plus que celle dont parle Aristote ou Plutarque. Elle fut la nôtre cependant, et nous a bien nourrit comme la brisure de riz du rice cooker et le poulet aux hormones. Mais il ne me reste plus de mon ami malgache que cette phrase à méditer: "fais comme chez toi mais n'oublies pas que tu es chez moi". N'est-ce pas ainsi en effet que le français reçoit chez lui l'émigré, c'est-à-dire fort bien, mais ne cessant cependant pas après de lui rappeler qu'il n'est pas chez lui. C'est comme ce reproche que me faisaient mes parents et c'était quand je faisais un cadeau qu'il fallait pas qu'on l'oublie. Et c'est vrai que je voulais pas qu'ils oublient mes parents mes cadeaux et que c'était peut-être alors pas pour ça de vrais cadeaux, comme l'amitié de circonstances ne seraient pas la vraie amitié, et comme la vraie hospitalité ne serait pas de rappeler sans cesse à son hôte qu'il n'est pas chez lui.

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