mercredi 5 mars 2025

Les préliminaires de la guerre


Personne n'irait à la guerre s'il n'était d'abord chef d'État et chef des armées. C'est pourquoi il les écoute les représentants de son pays et se fait une idée des intérêts en jeux et de la stratégie à suivre qui est toujours suivre les grandes puissances. Fort d'eux mêmes qui est de leur soutien, comme fort de lui-même qui est de son opinion faite à force d'écoute, il se sent investit d'un pouvoir qu'il n'a pas et lui commande, tandis qu'il croit commander parce qu'il est chef d'État et chef des armées avant de se retrouver tout seul comme simple fantassin au plus fort des combats; et avant d'être meurtri dans sa chair il s'insurge de la moindre meurtrissure faite à l'orgueil national et pourquoi pas européen; il est d'accord, on ne doit pas se laisser faire, et il est prêt à lever des fonds puis des armées s'il le faut, car il est toujours chef d'État et chef des armées.

Il est d'autant plus facile à commander qu'il ne combat toujours pas, car c'est à ce moment là qu'il lui est commandé de faire la guerre et non pas comme chef d'État et chef des armées qu'il n'est pas mais comme simple troufion qu'il est, et c'est sa vie qui sera engagée, car c'est sa vie qui lui sera demandée et non pas son opinion. Mais il lui semble y être déjà par l'esprit qui s'échauffe dans les discours où il rejoint son parti pris qui est celui de la guerre et d'une grande armée ne souffrant aucune perte mais augmentant toujours par la bile déversée dans des propos de plus en plus enflammés. 

Non, personne n'irait à la guerre s'il n'y avait avant les préliminaires de la guerre comme il y a avant l'amour les préliminaires de l'amour. C'est tout aussi jouissif. L'acte en lui-même on le sait peut-être mortel. Mais on s'y prépare. C'est dans la tête. Le corps n'y a pas encore part. Mais on s'y prépare. On va jouir. C'est sûr. Mais on peut aussi mourir. C'est une éventualité en réalité qu'à peine on envisage. Et quand on se jette c'est toujours la tête la première qu'on se jette sinon on ne se jette pas. Il faudrait faire prendre une douche froide à toutes ces têtes chaudes tandis qu'on ne cherche qu'à les enflammer davantage.


NB

On sait d'Alain son antisémitisme quand on devrait plutôt savoir (ne faut-il pas retenir de chacun le meilleur?) qu'il fut pacifiste, mais de le savoir ne suffirait pas encore sinon à prendre pour de l'angélisme ce qui était le fruit d'un esprit fort: 

"Si une paix réelle est présupposée, il est assez clair que l'excédent du charbon étranger est à nous pour notre argent, comme notre excédent de vin et de fruits est à lui pour son argent. Mais si la menace de guerre est présupposée, le charbon est une arme, le fer est une arme, le blé est une arme."

"Que peut alors l'esprit juge, quand le crime de guerre est revêtu en chacun des plus beaux motifs? Quand le combattant invoque le droit de l'innocent injustement attaqué, le progrès humain, la civilisation, et prend solennellement la paix même comme fin de la guerre? […] Mais il doit se borner à rappeler, par toutes les raisons tirées de la nature humaine, l'incertitude des jugements, la puissance des illusions, surtout collectives, l'aveuglement propre aux passions, le violent contraste entre l'idéal qui est écrit sur les drapeaux et l'horrible action."

1 commentaire:

  1. Tu écris comme tu joues aux échecs et tu m'as encore démontré aujourd'hui que tu joues bien aux échecs. je vais prendre le temps de lire tes autres textes.

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