lundi 10 mars 2025

De l'idée d'existence absolue à l'idée de sacrifice


Enrichi par cette idée d'existence absolue je peux donc en revenir à mon idée de sacrifice car elle tient à la première: ce n'est que parce que l'on accorderait à l'autre une existence absolue qui est la notre d'existence, que parce que lui c'est moi et parce que moi c'est lui, qu'on peut se sacrifier pour lui; or il semble que ce soit de moins en moins le cas, qu'on y soit de moins en moins disposé, que si l'on appelle toujours l'autre son semblable on lui accorde de plus en plus une existence toute relative et indépendante de la notre d'existence. Qu'il soit de plus en plus reconnu par nous comme notre semblable n'enlève rien à cela, il peut être aussi de moins en moins nous et son existence notre existence, car de moins en moins nous la lui attachons, ce qui est se rattacher ou être rattaché à lui.

De plus en plus nous mènerions une existence détachée de l'autre, séparée de l'autre, ou du moins en aurions nous de plus en plus conscience; car il importe peu que cela soit un fait avéré, que nous ayons de plus en plus le sentiment contraire à une réalité qui serait que notre existence soit de plus en plus semblable. Puis, comme déjà vu, le semblable ne nous donne comme nous ne lui donnons qu'une existence relative quand la notre d'existence est absolue, degré d'existence qu'il atteindrait de moins en moins pour nous qui sommes par conséquent de moins en moins disposé à se sacrifier pour lui. J'entends bien que c'est mon semblable mais il a sa vie et j'ai ma vie, disons nous, et sa vie pour nous n'a qu'une existence relative tandis que la notre a une existence absolue, pourrions nous poursuivre si nous allions au bout des choses et de nous mêmes.

L'autre est vraiment devenu l'autre. On ne saurait plus vivre que pour soi-même. D'où aussi ce sentiment accru de solitude. Et quand je parle d'existence absolue je parle de cet homme dont son existence est devenu un absolu et qui peut dire: "après moi le déluge" ou (maintenant que les enfants sont grands) "on va enfin pouvoir vivre pour nous" dit le couple, ou encore: "tu crois pas que j'en ai assez fait pour toi". Toutes ces déclarations nous semblent parfaitement recevables et pour cela sont dites aujourd'hui, car il n'est pas sûr non plus que ce fut toujours le cas. L'esprit de sacrifice n'est plus de mise. L'Etat le sait qui a fait une armée de professionnels, voire de mercenaires. La société de consommation le sait qui propose aux retraités de profiter (enfin) de leur vies plutôt que de la sacrifier aux enfants et petits enfants. Les enfants aussi doivent vivre leur vie d'enfant. Les femmes leur vie de femme …

L'idée de sacrifice tiendrait à l'idée de faire corps ensemble. On ne ferait plus corps. Cette expression me semble forte et marquer un temps (une utopie?, un âge d'or?) où rien ne nous séparerait les uns des autres, tout du moins où l'on n'aurait pas eu conscience comme aujourd'hui que tout nous sépare les uns des autres, car l'on parle du corps mais c'est l'esprit qui a conscience de tout cela: notre conscience d'être; à celle d'être avec les autres ce serait substituée celle d'être sans les autres, nous faisant passer d'une existence relative à une existence absolue. Existence relative où cependant nous reléguons les autres qui ne sont pas nous, quand bien même nous avons vu que pour les nôtres non plus nous soyons entièrement disposés à leur sacrifier notre existence absolue.

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