Je vois d'abord la femme et il y a quelque chose d'ouvert et de sympathique presque d'attachant dans son regard qui fait naître en moi le désir de lui parler, mais je ne le ferais pas non plus que je n'aurais à le regretter. Le mari est bientôt là et les enfants ont suivis. C'est bientôt toute une petite famille qui prend place dans le RER et quelques instants de cette vie de famille qui va se dérouler devant mes yeux.
Il me semble saisir entre eux une vraie complicité et sentir une intimité qui se trouve ici partagée par tous ces cœurs qui voudraient bien s'en réjouir parce qu'elle est humaine et authentique, non pas feinte pour le spectateur parce qu'il n'existe pas pour eux plus de spectateurs que pour un couple d'amoureux: le bonheur n'a pas besoin de spectateurs et par conséquent de s'offrir en spectacle.
On voit bien qu'ils ne jouent pour personne ou plutôt qu'ils ne jouent pas: il n'y a pas ici de jeux de rôle et tout le monde est à sa place: la mère ne joue pas à la mère ni l'épouse à l'épouse, aussi en est-il du mari que des enfants. Ils sont à ce qu'ils sont et qui sait si en vacances à Paris hors saison. Des regards passent entre eux et quelques propos sans importance s'échangent qu'ils ne retiendront pas plus que je ne les ai retenus mais que je sais appartenir à la famille, la meubler comme l'on meuble une maison, et sont de relations, n'ayant pas d'autre but que de l'entretenir comme on entretient un feu pour qu'il ne meurt pas tout à fait et continue à nous réchauffer.
Je crois bien avoir senti tous ça et mieux compris pourquoi la famille que par ailleurs j'ai tant haïs, sans doute presque autant que la société, n'en constitue pas moins un ordre supérieur où la personne humaine peut être sacrifiée (le sacrifice pour la famille), j'entends tout ce qui ne concernerait qu'elle, la personne humaine, pourrait être par elle sacrifiée au nom de la famille qui l'engloberait mais non pas froidement sinon chaleureusement, et dont elle se sentirait par conséquent un membre à part entière. Je remerciais cet exemple de m'éclairer parce qu'on ne peut être éclairé que par le vivant, et que le modèle de l'homme c'est l'homme, je dis de sa conduite qui par lui plus que par les règles fussent-elles juridiques ou morales est guidée.
Il est bien clair par ailleurs que la société n'offre pas de nombreux exemples de cette famille aussi qu'elle est loin de lui ressembler comme on est loin d'y appartenir, et c'est pourquoi l'on pourrait parler autant d'une crise de la famille que d'une crise de la société qui aurait pour base cette base dite traditionnelle de la famille. Il n'y aurait plus que des hommes et des femmes et des enfants sans famille et je parle précisément de cette famille modèle qui n'est pas, on l'aura compris, fermée au monde, repliée sur elle-même: le mari aussi avait un regard ouvert et sympathique et attachant, pareil pour les enfants. Tout ce petit monde semblait respirer le bonheur de vivre qui était le bonheur de vivre en famille. Et pas coupée du monde. Et si ce lien est coupé c'est que beaucoup de liens sont coupés. Et tous ces liens sont des liens entre les hommes.
Un peu de nostalgie ne fait pas de mal mais aussi si elle n'enferme pas dans un modèle qui n'aurait plus cours où dont la survie est mal assurée sinon le déclin, c'est que ce n'est pas tant à mes yeux la famille que l'homme le modèle, et sa façon de tisser du lien, et par ces liens créer un réseau où il puisse être inséré autant qu'enserré, car ne rêve t-on pas tous d'être enserrés dans des bras qui sont les bras d'une humanité aimante, c'est dans ces bras là que l'on veut autant vivre que mourir et serait prêt à tous les sacrifices, où renaîtrait l'esprit de sacrifice parce qu'inséré et enserré dans ces liens, où notre vie entrerait dans un ordre supérieur en cela que la dépassant il lui permettrait ce dépassement, et que lui étant dévoué elle lui serait toute dévouée.
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