samedi 8 février 2025

Une compagnie humaine (ou l'exigence humaine)


Plus une compagnie serait vivante plus elle serait exigeante, et la question posée serait est-ce que l'on s'habitue à une compagnie de moins en moins exigeante à chaque fois que l'on préfère la machine à l'homme, et ce peut-être aussi à une poupée gonflable ou à un film pornographique plutôt qu'à une femme, ou encore à jouer sur internet aux échecs plutôt que dans un club d'échecs où l'on rencontrerait des adversaires en chair et en os; il y a regarder la télé plutôt qu'aller à un spectacle, il y a tous les moyens de communications modernes qui au lieu de, ou plus que de nous mettre en communication avec les autres, nous en isolent et font que nous nous satisfaisons d'une communication encore une fois moins exigeante parce que moins humaine.

Et plus nous nous passerions de l'homme moins nous saurions faire avec, déshabitués comme nous le deviendront à répondre à une exigence à laquelle nous nous soustrairons d'autant plus qu'elle nous dépassera de plus en plus. Le souvenir me revient de sœurs d'un couvent de cloitrées, et j'étais dans le jardin de ce couvent parce que ne pouvant allé plus loin on m'y avait laissé comme dans une salle d'attente à ciel ouvert, qui s'enfuirent en s'apercevant de ma présence. En arriverions nous a être si déshabitués de la présence de l'autre qu'elle nous effraierait à ce point, car il ne faut pas voir que du religieux dans cette réaction mais une confrontation avec l'humain qui n'est pas qu'une présence éthérée mais bien palpable, pour ne pas dire souvent grossière, vulgaire. C'est pourtant cette même absence de corporéité, de communication sans corps, qui prend une place grandissante dans ce que l'on pourrait appeler des rapports sans rapports, ou des contacts sans contacts.

Se coltiner un autre corps en dehors de l'éros parce qu'on ne sait plus le penser en dehors de l'éros, comme si l'éros lui donnait à nos yeux son seul droit d'existence ou de coexistence, voilà bien l'exigence humaine. Aussi à chaque fois que la cohabitation pourrait être évitée elle serait évitée, et ne pourrait pas l'éviter, y serait contraint par la nécessité, que les plus pauvres d'entre nous, qui répondraient alors à l'exigence humaine que parce que ne pouvant pas s'y soustraire. On en verrait plus que les mauvais côtés. Et ce serait là le signe le plus flagrant d'un changement de société si l'on peut encore parler de société quand plus personne ne veut vivre ensemble, quand cela ne répond plus à un choix ou de moins en moins à un choix. Car l'on ne serait plus obligé de répondre à l'exigence humaine. C'est ce qui aurait véritablement changé. De plus en plus d'impôts mais en contrepartie on serait de plus en plus exonéré de la charge humaine. Et cela se sent. Et cela est dans l'air du temps. On se sent et se dit plus libre. Quand l'autre est de plus en plus ressenti comme une contrainte, comme une charge à laquelle on ne veut plus faire face.

On ne veut donc plus répondre à l'exigence humaine. Mais comme on ne peut pas non plus sans passer. A un degré d'existence moindre qui est un degré d'exigence moindre ça passe mieux ou ça passe encore et c'est les heures sur le portable ou sur Internet et avec qui l'on n'a pas forcément envie d'être "en présentielle", et c'est autant dans notre loisir que dans notre travail. Mais du coup, ce phénomène tendant à se généraliser, c'est tout humain qui a pour l'autre dans son loisir comme dans son travail un degré d'existence moindre. De sorte que la moindre présence effective deviendrait alors une trop forte présence à supporter, que l'on serait en tout cas de moins en moins à même de la supporter. Il vaut mieux être seul que mal accompagné qu'on dit. Certes ou admettons, mais vaut-il mieux être seul qu'accompagné dans la vie. Et je ne pense pas ici à nos bêtes de compagnie qui répondent aussi à ce moindre degré d'exigence, car ce qui requiert de nous la plus haute exigence c'est de toute évidence la compagnie humaine.

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