Il m'est venu une idée absurde qui pourtant ne me parait pas fausse: c'est que ce sont les gens qui font que je me sente seul, qu'à chaque rencontre je me sens un peu plus seul, que si je n'avais jamais rencontré personne je ne connaitrais pas la solitude, que ma solitude est peuplée d'absents, qu'elle est d'autant plus grande qu'elle est par eux habitée, et que la peuplant à chaque rencontre un peu plus je me rend un peu plus seul à chaque rencontre, et qu'on ne l'ait jamais autant qu'on a autant rencontré, notre solitude serait faite de nos absents qui est ceux qui un jour ne serait-ce qu'un instant ont été présents pour nous. Aussi l'on ne pourrait dire que la solitude d'un enfant soit comparable à la solitude que peut connaître un être vieillissant et de plus en plus seul à force de rencontres. La solitude ne serait pas tant le fait d'être seul que celui de ne l'avoir pas toujours été, et si la solitude nous pèse elle nous pèse d'autant qu'elle répond au poids des existants, de leur nombre et de ce qu'ils ont comptés dans notre vie, nous ne le saurions que trop et que trop rétrospectivement. C'est une solitude à charge et sans doute pèse t-elle davantage aux uns qu'aux autres.
Il y a autre chose aussi qui fait qu'elle ne tient pas tant à nous qu'à l'autre, c'est l'altérité (le fait que l'autre soit autre), et cette de plus en plus grande acuité que l'on a à percevoir son inaccessibilité, qu'il est autre et restera autre malgré tous les efforts fait pour nous en rapprocher. C'est enfant que nous avons eu un père et une mère. Mais en grandissant nous avons appris qu'ils ne sont pas qu'un père et une mère, qui est ce qu'ils étaient pour nous, mais étaient aussi l'un pour l'autre mari et femme, et cela avant même que nous venions au monde; puis leur métier, leurs collègues; enfin une multiplicité de facettes qui put nous échapper alors et nous les faire voir ensuite sous un nouveau jour; tant et si bien que nous ne savons plus vraiment qui étaient nos parents, et surtout qu'ils aient pu nous échapper comme peuvent nous échapper tous ceux à qui leur donnant le nom de parents, de proches, d'amis, nous pensons par là définitivement connaître et avoir approchés, et sans doute les avons nous un peu approchés mais sans jamais vraiment les atteindre.
Ce qui m'a surpris chez Nicole c'est de vouloir être seule, mais elle me reçue. Au regard de ce que je viens d'écrire peut-être se fait jour une explication à la solitude recherchée de Nicole: elle veut être avec ses absents et elle ne peut y être vraiment que quand elle est seule, toute présence étrangère l'en éloignerait, jamais elle ne s'en sentirait aussi proche que quand elle serait seule. Peut-être aussi que cette inaccessibilité, cette altérité du vivant, n'existerait que de son vivant et disparaîtrait avec lui, que Nicole n'aurait jamais senti plus proches ceux qui de leur vivant pouvaient encore lui échapper comme ils nous échappent à tous sans exception parce qu'ils sont autre. L'appropriation des êtres ne peut être que post mortem parce que personne n'appartient à personne et que même le contrat de mariage n'est pas un contrat de propriété et que toujours l'esclave échappe au maitre pour enchaîné qu'il soit, de même le maître à l'esclave pour tributaire qu'il soit de lui. Nous voudrions bien faire de l'autre notre chose mais comme il est cet autre être, d'une altérité pareille à la nôtre, d'une inaccessibilité pareille à la nôtre, il ne peut nous renvoyer qu'à notre solitude qui peut être effectivement habitée par lui si nous le voulons bien.
Car ce n'est encore qu'envisager une solitude à charge quand il peut aussi exister pour nous une solitude à décharge qui serait une existence légère sans le poids de l'existence qui ne serait autre que le poids de tous les existants dont les circonstances plus qu'une volonté propre nous auraient acquittés, affranchis, et que nous craindrions de retrouver en l'autre par son pesant d'existence qu'il veuille ou ne veuille pas faire pencher la balance de son côté. Inaccessibilité, altérité, cesseraient alors de nous déranger pour n'être plus que la condition sine qua non de notre liberté. Et cette liberté ne serait qu'une liberté conditionnelle: nous ne serions libre qu'à condition d'être seul. Et il faudrait voir dans cette solitude recherchée une liberté retrouvée. Jamais enfant on ne se serait senti aussi libre, mais jamais aussi senti aussi seul.
il est vrai lorente, que j aime passer du temps avec moi meme, cela recharge mes batteries, et je ne me sens jamais seule,,je ne suis aucunement sauvage, j ai une vie sociale riche, j aime les rencontres qui m enrichissent , mais justement pour etre bien dans cette relation sociale, j ai besoin de mes moments de solitude pour me ressourcer
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