jeudi 30 janvier 2025

La plage de Barcarès


Elle parlait des républicains qui se retrouvaient sur cette plage, c'était encore la plage de Barcarès je crois, et ce qui me les rendit vivant c'est qu'elle ajouta qu'ils échangeaient là entre eux ce qu'ils savaient: l'un parlerait d'histoire, l'autre de mathématiques ou de musique, pas forcément de ce qui les avait à tous amenés sur cette plage après avoir quitté l'Espagne. Sans doute avaient-ils allumé un feu et échangeaient ils aussi ce qui leur restait de vivres emportés avec eux. Non, jamais je ne me les avais autant imaginés. Ce qui rendait leur présence presque effective, et je devrais dire celle, c'était Monique l'anarchiste, qui n'était plus de toute jeunesse mais avait toujours le cœur à chanter, ce qui est aussi partager des émotions, des joies et des peines, tout ce que la vie peut apporter avec elle en temps de guerre comme en temps de paix. Il y en a parmi eux commentait Monique qui, malgré les conditions de vie difficiles par lesquelles ils étaient passés, avaient vécus vieux. Gérard se rappelait ces valises qu'on leur voyait porter sur les quais de gare, ce devait être après mais c'était toujours la même image de l'exil. Il y avait quelque chose cependant de plus convivial dans ce qu'avait rapporté Monique, comme une pause, une respiration de l'histoire, pour tragique qu'elle fut, une aspiration à vivre qui était tout ce que j'avais senti et comment elle animait toujours la vielle "anar" dont la vie n'avait pas dû être si étrangère à tout ça. Ils avaient finis par acheter une petite parcelle de terrain et y avaient fait poussé de la vigne, et je crois que c'est de ses parents qu'elle parlait, mais ça n'a pas non plus d'importance que ce soit ses parents ou pas, sinon toujours les républicains en exil. Tout ça dit simplement parce qu'on se promenait sur cette même plage et que des souvenirs, les nôtres ou les leurs, la grande histoire et les petites histoires, se mélangeaient enfin, nous les rendant plus proches. Collioure je dis n'était pas très loin aussi que les paroles du poète qui y avait été enterré: "caminante no hay camino/ se hace el camino al andar". C'était bien cela ils avaient fait leur chemin en marchant et "no hay camino sino estelas en la mar" et leur chemin s'était refermé derrière eux comme le sillage derrière le bateau. Il faut croire que je voulais moi aussi donner une voix aux voix qui se sont tues et n'étant pas chanté, je n'avais pas la voix de Monique, elle serait au moins poétique. Sûr que sur la plage de Barcarès ils devaient aussi chanter ou réciter des poèmes de Machado ou de Federico Garcia Lorca ou de Miguel Hernandez, pendant cette courte trêve ou pause pourquoi pas musicale sur la plage de Barcarès où jamais je ne les aurais imaginés comme je me les imaginais désormais.

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