Il s'en rappelait encore mais il y avait longtemps, bien longtemps, que B et P ne jouaient plus aux indiens. Tout avait commencé sur le toit du garage et c'était avant, longtemps avant, bien longtemps avant, ce noël où B recevrait sa parure d'indien et P sa panoplie de cow-boy. Il était alors plus facile pour B aussi que pour P d'être indiens que cow-boys parce qu'il était plus facile de fabriquer des arcs et des flèches que des armes à feu. B et P s'étaient aussi fait des carquois pour contenir et transporter les flèches lorsqu'ils menaient ensemble une attaque sur d'autres toits d'autres garages du village. Et c'était C la sœur de leurs ennemis (ce que B et P n'étaient pas encore devenus l'un pour l'autre), qui eux aussi étaient indiens mais d'une autre tribu et rivale à la leur, qui avait vendu la mèche: les apaches ces frères, à moins que ce ne fut B et P les apaches et les frères de C les sioux, se battaient entre eux et c'était avant, bien avant l'arrivée des Blancs, c'est-à-dire des cow-boys et bien avant de ce que B et P devinrent à leur tour des frères ennemis. B et P entreprirent donc ensemble, et ce fut là leur plus grand fait de guerre, de faire une razzia sur le toit du garage des sioux à moins que ce ne fut celui des apaches, parce que C leur avait dit que ces frères (sioux ou apaches?) seraient occupés ailleurs à d'autres tâches que de fourbir leurs armes, et c'étaient qu'ils devaient être à cette heure là encore en train de prendre leur petit déjeuner. L'on sait maintenant que la vie appartient à ceux qui se lèvent tôt or leur attaque eut lieu au lever du jour et fut par conséquent une victoire décisive remportée sur l'ennemi sioux ou apaches (peu importe) qui se mit à genoux pour que ses armes et munitions lui furent restituées. Non, ce n'était qu'en obtenant une abdication sans condition que B et P pourraient avoir une paix totale et royale et définitive. P fit cependant aussi jurer à C de l'informer de toute nouvelle velléité de réarmement de la part de leurs ennemis jurés, ce qui serait alors considéré comme une déclaration de guerre, et il n'y eut pas meilleur agent de renseignement que C, au point qu'avec le temps P put se demander si C n'avait pas le béguin pour lui à moins que ce soit pour B. Mais B et P ne se disputeront jamais ensemble pour une squaw. Même s'ils étaient tous les deux amoureux de C et attendaient seulement qu'elle fut convaincue de haute trahison pour faire une autre razzia sur les toits ennemis, mais cette fois-ci pour kidnapper C, ce qui ne se produisit jamais car C n'était pas Hélène de Troie. Il ne faut pas tout mélanger.
Par contre arriva ce noël où sous le sapin B trouva sa parure d'indien, tandis que P lui eut droit à sa panoplie de cow-boy. C'était un temps où les cow-boys étaient les bons et les indiens les méchants. Et on aurait dit que B avait toujours attendu ce moment pour se ruer sur P, car avant que P n'ait fini (il y avait plus d'éléments dans son attirail ) d'enfiler son ceinturon avec ses colts B l'obligea à fuir et à tourner autour de la table s'il ne voulait pas y laisser son scalp. Ils se firent alors si bien chacun à leur rôle que quand ils n'eurent plus l'âge de jouer aux cow-boys et aux indiens B continua néanmoins à se complaire à jouer le rôle du méchant et P le rôle du bon. Aussi quand au regard de l'opinion publique les indiens devinrent les bons et les cow-boys les méchants P se rangea ostensiblement du côté des indiens et B tout aussi ostensiblement du côté des cow-boys. Cela se fit néanmoins insensiblement, aussi insensiblement que cela se fit pour l'opinion publique, de sorte que ni l'un ni l'autre, et pas plus B et P que l'opinion publique, ne se rendit compte de ce revirement qui s'il fut radical ne fut pas brutal, et toujours dans le respect du caractère de chacun, en accord avec lui-même ou ce qui lui semblait être lui-même et n'était peut-être qu'un rôle qu'il eut a endosser dès son plus jeune âge et résulterait du plus pur des hasards, comme celui qui fit qu'à l'un on offrit une tenue d'indien tandis que l'autre eu droit à une tenue de cow-boy. D'abord l'habit, après le caractère qui va avec, que l'on se forge après avec et selon le jugement de l'opinion publique qui lui porte sur l'habit, car des véritables indiens comme des véritables cow-boys quand sait-on d'ailleurs? Sortis des clichés, des généralités (toujours abusives et qui nous abusent) qu'en est-il? S'il fallait les juger aux cow-boys et aux indiens encore faudrait-il les juger un par un et non tous en même temps comme s'ils fussent tous pareils. Il n'empêche que B s'était fait à l'idée qu'il était et serait toujours le vilain petit canard. C'est que si tout le monde se fait des films tout le monde ne s'y voit pas toujours tenir le meilleur rôle et qu'une fois endosser un rôle il est difficile d'en changer. C'est pourtant au nom de ce rôle que l'on est jugé et parfois condamné. Alors faut faire gaffe à quoi tu joues, hein, à quoi tu joues! A quoi tu joues! De quoi en tout cas vous faire passer l'envie de jouer aux cow-boys et aux indiens.
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