Mais je ne savais pas m’abandonner à la nature, que je me disais soudainement, car j’en fus frappé comme si cette idée saugrenue de s’abandonner à la nature ne venait pas de moi. Il y a des jours où l’on se met à penser bizarrement et ce devait être un de ces jours là, pensai-je, et il faudra mettre tout ce qui suit sur le même compte que je n’ai relevé que par goût des excentricités, parce qu’en dehors de moi et de mes habitudes de pensée. Et ceci, au lieu de m’en défendre. Je n’ai jamais su que mal me défendre, et m’en défendre serait par conséquent mal m’en défendre. Sur la même ligne de pensée où je fus porté (serait-il plus exact de dire déporté) je trouvais Dieu, façon de parler bien entendu, et motivé par l’emploi du mot abandon : ne s’abandonnerait-on pas de la même façon à la nature qu’on s’abandonnerait à Dieu ? Me demandai-je alors. En fait je n’en savais trop rien et la question m’embarrassait au point que je n’avais de hâte que de passer à autre chose. Mais l’autre chose que je trouvais sur ma route, si je puis m’exprimer ainsi, fut Spinoza. Je me rappelais, allez savoir pourquoi, qu’on ne savait, quand Spinoza parlait de la nature, s’il parlait de Dieu, et, quand il parlait de Dieu, si ce Dieu n’était autre chose que la nature. C’est que, m’exclamai-je (quoique je restasse sans voix), je ne suis pas le seul qui soit incapable de s’abandonner à la nature. Et par ces sauts périlleux de la pensée j’en concluais que plus que l’esprit des lumières, que plus que l’avancée des sciences, que plus que le Dieu est mort de Nietzsche, et que tout autre chose dont les hommes puissent se vanter, c’est à notre éloignement de la nature que l’on devait notre éloignement de Dieu. Comment ressentir la toute puissance de Dieu ou de la nature quand on est au volant d’une voiture puissante et qui répond à notre volonté, au doigt et à l’œil et au pied sur l’accélérateur. C’est aussi bête que cela et la bêtise est chose fort répandue, plus commune et présente en ce monde qu’en tout autre qu’on voudrait meilleur. Il y eut un ultime saut périlleux qui cependant me renvoya à l’homme plus qu’à Dieu, car c’était quand même, il faut l’avouer, revenir à mon sujet de prédilection qui est l’homme et non Dieu. Maintenant, me disais-je encore, il faut savoir quel homme on veut pour demain : celui de Chaplin dans Les Temps modernes et de Stanley Kubrick obsédé par le sexe et ultra–violent dans Orange mécanique ou celui qui s’abandonne à la nature ou à Dieu ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire