Comment pourrais-je aimer cet homme avec qui tout ce qui pourrait l’élever échoue ? Buttant à chaque épreuve qui est une marche. Qu’il souffre !, puisqu’il ne sait pas dépasser la souffrance. Mais voilà que je le plains comme je me plains, quand au lieu de se plaindre on aurait tout à gagner non pas à se résigner qui est encore accepté de souffrir, mais à se révolter contre sa propre bassesse incapable de percevoir la grandeur d’un destin oublieux de lui-même. Faut-il être seul, eh bien ! L’on est plus empêché par les autres qui nous éloignent de nous-même. On préfère pourtant se perdre à se retrouver. C’est, dit-on, que l’on n’est pas fait pour être seul. Sait–on jamais pourquoi l’on est fait si l’on ne se fait à rien. Je connais cet homme depuis longtemps. Il a aimé. Il n’aime plus. Quel soulagement ! Mais non, pense t-il, on ne peut pas vivre sans amour. Après avoir essuyé les tempêtes de la passion le calme du port l’exaspère. Je ne lui connais pas de volonté, de cette volonté dont on dit qu’elle fait déplacer des montagnes ou gravir des sommets. Seul ce qui l’éprouve devrait le faire avancer si à chaque coup il ne s’affaissait un peu plus. Il en est encore à chercher des appuis quand il y a longtemps qu’il n’a plus où se tenir et que par conséquent il ne devrait plus, non plus, tenir à rien, ce qui est un beau détachement en outre et de fait déjà établi. Mais on dirait que des circonstances adverses l’y obligent et qu’il ne sait, mieux qu’y consentir, bien s’y sentir, comme à des hauteurs insoupçonnées de lui. Le pire dans tout ça, la phrase fatidique, qui anéantit en moi tous mes espoirs en lui, c’est quand enfin libéré de tout il dit : maintenant je vais enfin pouvoir m’occuper de moi. De qui ? De cette chose ridiculement petite qui n’a pas pris la peine de grandir, à peine de paraître, jamais d’être, et qu’il appelle moi quand elle n’est rien.
Je n'aimais pas mon élévation royale au-dessus de la terre. Elle m'a été imposée et méritait son vrai nom d'exil. Czeslaw Milosz
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