Je vous écris de tout en bas, de là où l’on n’écrit pas. Où l’habitude de consigner sa vie par écrit relève de la prétention et est plus un vice qu’une vertu. On ne s’y sent appeler par aucune force, ni centripète, de tout ramener à soi, ni centrifuge, de prendre de la distance vis-à-vis de soi-même. Dire que l’on est plein de vie c’est aussi dire que l’on est plein de la vie, qu’elle nous accapare pleinement, et au mieux, étant femme, accoucherions nous d’elle, et au pire, étant homme, mourrions nous à la guerre, si nous ne savons plus qu’en faire. Ecrire passe pour une insanité d’esprit à laquelle ne peuvent s’adonner que les malades ou les vieillards, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas plein de vie. L’adjudant qui m’arracha un jour de service militaire mon livre des mains a-t-il vu que je tenais un enfant malade entre mes bras et qui avait besoin de mes soins, un enfant qui n’était pas viable. Une femme aurait pleuré. S’attendait-il à me voir pleurer comme une femme à qui l’on a pris son enfant ? Je le terrassais. Même une femmelette aurait pu le terrasser. Il était vieux et croulant. Il croula. Au trou, dans la semi obscurité de la geôle, la femmelette que j’étais eu le temps je ne sais si de lire ou de pleurer. On ne fait pas grande différence entre l’un et l’autre et de l’un et l’autre quand on est un homme on se sent coupable, on se sent coupable et accuser de ne pas être un homme. Ce sentiment ne m’a jamais lâché comme ne m’ont jamais lâché les livres, ces tuteurs pour celui qui ne sait pas marcher sans eux dans la vie, pour handicapés de la vie. Cette sensibilité accrue qu’elle accroît encore et par déraison fini par pousser au crime de lèse-majesté, sa majesté la vie, écrire étant comme attenter à sa vie.
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