dimanche 2 mai 2021

Les lieux d'existence

 

Qui perd sa famille perd un lieu d’existence. Qui perd sa femme perd un lieu d’existence. Qui perd un ami perd un lieu d’existence. C’est que les lieux d’existence ne sont pas seulement pour l’homme des propriétés et géographiquement situés, localisables et localisés dans l’espace. Ils sont bien davantage des êtres humains. Combien l’on voit celui qui n’a pas d’autorité ou à l’autorité trop souvent bafouée, frustrée, bridée, régner en maître auprès des siens ; auprès des siens il existe. Et combien le timide, le timoré retrouve la parole en même temps qu’il se retrouve avec ses amis ; auprès de ses amis il existe. Et quelle hauteur prend, de quelle dignité se drape, le couple, qui échange opinions et jugements et regards sévères ou condescendants sur le petit monde environnant, quand ils se promènent, qu’on dirait un tribunal en déplacement par son caractère officieux et cérémonieux. Qu’ils aient des enfants et le monde leur appartient sauvagement ou avec l’éducation qui les honore. C’est que tous ces lieux de vie ne sont pas sans chaleur humaine. On parle de foyer. Il peut s’éteindre avec les années, et avec la flamme c’est un lieu d’existence qui se dissipe, car il n’y a rien de matériel, c’est pure énergie : l’union fait la force qu’on dit, mais on la matérialise trop quand elle est, on l’a vue, pure existence. C’est pourquoi c’est dans la force de leur expression que ces lieux d’existence nous sautent aux yeux. Ils ont la force du vivant, sa grossièreté ou sa distinction, selon. Mais ils sont toujours plus qu’une voiture familiale, qu’une maison de famille, que tout ce que l’on peut acquérir comme lieux d’existence et qui se retrouvent ne pas l’être quand l’on perd sa famille, sa femme, son enfant, ses amis. Cela peut paraître évident quand on devrait le considérer davantage avant de donner le nom de lieux de vie à des endroits où l’on ne vit pas mais où l’on meurt ; que c’est d’abord l’être humain pour l’être humain le lieu d’existence, qui lui confère une existence toute relative et dépendante mais qui n’est pas plus figée dans l’espace que dans le temps, qui évolue avec lui, qui existe avec lui, qui ne peut pas exister sans lui quelque soit par ailleurs ses conditions matérielles d’existence.

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