samedi 1 mai 2021

Le nécessiteux

 

Chaque ligne, que dis-je, chaque mot est une supplication, la plus basse des supplications, parce que l’écrivain est le plus misérable des nécessiteux : il écrirait pour rien, il écrirait pour être lu. Son style c’est toute sa superbe, derrière il y a un homme qui ne sait plus quoi faire pour vous plaire, qui se retrouve à chaque fois comme le joueur qui à chaque fois joue toute sa mise, dans la plus grande nécessité. Il a besoin du lecteur plus que le lecteur a besoin de lui, mais il dira qu’il ne pense jamais aux lecteurs quand il écrit. S’il le peut il crachera même sur son éditeur, celui-là qu’il était venu implorer, le tout premier, s’en souvient-il encore ? C’est un prince. Il a acquis ses lettres de noblesse. Il en est à son vingtième bouquin. Il parlera volontiers de ses œuvres de jeunesse avec un brin de condescendance et de nostalgie. C’est que le trait y était encore trop appuyé. On y voyait trop le mendiant. On entendait trop à chaque ligne, que dis-je, à chaque mot : lis-moi ! Lis-moi ! Il ne déploie plus autant de charme, ne fait plus autant d’efforts de séduction, va à l’économie, c’est un professionnel désormais ; il a pris de l’importance et avec l’importance de la confiance en lui, il ne tremble plus autant et ce tremblement n’est plus si perceptible, ce tremblement qui pourtant faisait frémir le lecteur parce qu’il était celui du mendiant comme celui de l’amant fébrile qui a peur d’être éconduit et pour chaque mot qu’il dit prend un temps infini. Tout cela le fait sourire maintenant qu’il s’assoit à sa table pour écrire comme on s’assoit à sa table pour manger : c’est une fonction l’écriture et une fonction vitale pour l’écrivain, et qui a aussi quelque chose de sacré. Il lui fallait une consécration. Et cette consécration il l’a reçu de vous, ses lecteurs. Voilà votre nécessiteux empreint d’onction et de componction. Il y a les autographes. Il y a tout un cérémoniel télévisé. On est loin direz-vous du nécessiteux. C’est mal le connaître. C’est mal connaître ce besoin impérieux qu’il y a en lui d’écrire, de vous écrire. Bienheureux lecteurs qui n’êtes pas accrocs à l’écriture, qui humblement vous contentez de le lire, de boire ses paroles comme si elles étaient d’essence divine, et elles le sont en effet mais grâce à vous seulement, et par cette sacralisation de l’auteur, et par cette consécration comme auteur qu’il vous doit à vous ses lecteurs. Mais c’est encore ce devenu imperceptible tremblement de la voix d’auteur, ce je ne sais quoi qui fait son charme, qui opère en vous, qui plaide en sa faveur, qui le rend inimitable à vos yeux sensibles aux délinéaments de son style, parce que le style c’est la personne qu’on dit, et que la personne c’est le nécessiteux qui s’est pourtant affermi avec le temps, avec l’usure du temps, avec l’imposture du temps.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire