mardi 20 avril 2021

Retour à l'homme (et le jeu de société)

 

Tout est fait comme si tout se passait hors de la mêlée, dans un monde ordonné que l’on chercherait à ordonner encore, et c’est celui des lois et de la société. J’ai peine à dire que ce n’est pas dans ce monde là où vivent tous les hommes pris dans la mêlée, ce n’est pas non plus comme cela qu’ils le voient. Par contre, pour ceux qui se trouvent être en dehors de la mêlée, d’un les choses ne vont pas si mal que ça, de deux ils ne doutent pas pouvoir continuer à agir dans le sens du progrès et de l’histoire de l’humanité. Il ne s’agit pas de mettre en doute leur bonne foi mais d’expliquer pourquoi elle donne dans le mur, dans le mur de la mêlée. L’historien trouverait sans doute des raisons historiques, l’économiste des raisons économiques, le sociologue des raisons sociologiques, et ainsi de suite. Comme je ne peux me prévaloir de leur science sans la mésestimer pour autant, mais je ne puis m’empêcher de penser qu’ils ont pris cette distance jugée nécessaire à tout savoir objectif qui revient à ne pas rentrer dans la mêlée, et ne leur accorde par conséquent pas beaucoup de crédit et non moins de crédulité. Je dirais de même des hommes de lois, des politiciens et des philosophes, tout en ayant vis-à-vis de ces derniers l’affection que l’on peut leur porter à mon âge.

C’est aussi avec beaucoup d’affection que je me souviens de Xavier Parmentier qui était l’un des meilleurs entraîneurs français des jeunes joueurs d’échecs. Que ceux qui se demandent ce que cela peut bien avoir à faire avec notre sujet prennent patience, et ils seront récompensés. Xavier Parmentier privilégiait la stratégie sur la tactique au point que s’il lui arrivait de perdre sur un coup tactique cela lui importait peu, disait-il, si stratégiquement il était gagnant. Il faut dire que les joueurs auxquels il enseignait (de jeunes espoirs français qui constitueraient l’élite des échecs) étaient au-dessus de la mêlée : ils ne tomberaient plus dans aucuns pièges tactiques, aguerris comme ils étaient depuis leur plus jeune âge passé a ferrailler sur l’échiquier, mais la stratégie leur faisait encore défaut. En outre, la stratégie est ce qui fait qu’on parle du noble art des échecs et Xavier Parmentier faisait parmi nous, « les anciens », figure de Samouraï. Nous qui tombions cependant sous les coups tactiques, parce que nous n’étions toujours pas sortis de la mêlée, partagions avec lui cet amour de la stratégie, comme nous partageons avec les politiques l’amour de la politique alors que nous la subissons et qu’ils en tirent le meilleur parti qui est toujours le leur.

Vous commencez sûrement à comprendre, c’est pourquoi je peux me permettre cette citation qui semble à nouveau vous éloignez du sujet quand elle vous en rapproche, et vous perdre quand elle vous aidera à vous retrouvez : « il est une multitude de délits secrets et dangereux qu’il serait impossible au cours ordinaire des lois de connaître, d’arrêter et de punir. » Vous ne trouverez cela sous la plume d’aucun philosophe et en effet quand on cite les penseurs de la Révolution Française on oublie de citer Louis-Sébastien Mercier, enfant de boutiquiers parisiens. Il n’a pas comme eux fait école. Il n’a pas parlé stratégie. Mais il est descendu dans la rue. Il s’est mêlé à la foule : « J’ai tant couru pour faire le tableau de Paris que je puis dire l’avoir fait avec mes jambes » et quand on oublie de le citer en l’oubliant c’est quatre vingt dix pour cent de tactiques que l’on oublie et sans quoi la stratégie reste inopérante, car elle n’empêche pas de tomber dans tous les pièges, dans tous les coups bas, au-dessous de la ceinture et au-dessous de la loi, que les hommes dans la mêlée ont l’habitude de se porter et que les hommes hors de la mêlée ont pour habitude de ne pas voir.

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