On ne parle jamais au meurtrier. Je ne dis pas à celui qui a déjà tué et à qui il est trop tard pour parler, mais à celui qui vous dit je vais tuer un tel parce qu’on ne le croit pas. Comme si les meurtriers n’existaient pas. J’irai plus loin : comme si nous n’étions pas tous des assassins en puissance. Il y a un de ces amis que l’on dit peu recommandables que j’ai un jour hébergé et à qui en l’hébergeant j’ai peut-être éviter le pire : sa femme venait de le mettre dehors. Il y en a qui ont des idées de meurtre pour moins que ça. Cet ami qui à la télé aimait voir les chroniques judiciaires s’effrayait non pas d’entendre ce que le meurtrier avait fait mais parce qu’il ne le jugeait pas bien différent de lui qui n’avait jamais tué personne. A l’heure qu’il est, plusieurs années après qu’il est quitté mon domicile et en ai retrouvé un qui soit le sien, il n’a toujours tué personne et je ne m’étonnerais pas plus qu’il tue quelqu’un comme qu’il ne tue jamais personne.
A cet ami je crois n’avoir pourtant pas bien parler pour l’en dissuader. Il ne m’est venu alors que les banalités d’usage, les appels au calme, et qui sont je sais de peu de poids devant la passion meurtrière. Son honnêteté intellectuelle vis-à-vis de lui-même est ce qui l’a sauvé : de savoir qui il était : un assassin en puissance, quand tous nous nous défendons de l’être même potentiellement. Il avait peur de lui et de ce qu’il pouvait faire, et c’est cette peur de lui-même que réveillait ce qu’il aimait par ailleurs voir à la télé, cette attirance répulsion pour le crime n’est-ce pas ce qui fait monter l’audimat de cette émission, de cette émission qui devrait en faire réfléchir plus d’un qui ne croit ressentir que de la répulsion quand pourtant comme lui il la regarde et aime les faits divers.
Je crois depuis avoir un peu mieux réfléchi à la question. J’aurais dû par exemple lui dire que j’ai moi aussi eu des idées de meurtre et les lui exposer dans le détail. Cela lui aurait apparu alors comme une bêtise monumentale comme il m’est apparu à l’entendre qu’il allait en commettre une de bêtise monumentale. Je lui aurais ainsi juste donner la distance suffisante pour la mesurer. Ensuite je lui aurais dit qu’en pensant tuer il ne pense qu’au seul être qu’il va tuer et qu’il lui faudrait d’abord, plutôt que focaliser sa pensée sur ce seul être, l’élargir un peu. Comme mon ami qui est un assassin en puissance, est aussi un être intelligent en puissance, cette puissance n’aurait pas manqué de s’exercer. J’aurais alors désigné les autres êtres à qui en faisant du mal à celui à qui il voulait faire du mal il aurait aussi fait du mal et lui aurait demander si c’était bien cela qu’il voulait. On ne pense jamais à tout le mal qu’on fait aussi malfaisant que l’on soit par ailleurs. Il est beaucoup plus fréquent que l’on fasse le mal en pensant faire le bien ou comme on dit : s’en penser à mal.
Mais je terminerai par la règle première qui est : on ne parle jamais au meurtrier parce que l’on ne croit jamais avoir affaire au meurtrier et pourtant c’est comme cela qu’il faut, et pour commencer, se parler à soi-même.
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