Il y a beaucoup de pratiques légales qui n’en sont pas moins immorales. Parmi elles le mauvais usage des bons sentiments figurerait en tête. Et souvent ceux qui s’y prêtent ne savent pas à quoi ils se prêtent conduits comme ils le sont par leurs bons sentiments. Par contre ceux qui y font appel mériteraient une double peine, par l’exploitation qu’ils en font, et par la personne trompée qui une fois l’abus de bons sentiments avéré se détournera de cette voix du cœur qui devrait pourtant commander avant celle de la raison à toutes nos actions; elle ne sera plus alors qu’intéressée, c’est-à-dire, à l’exemple de beaucoup, indifférente au malheur des autres. Le mauvais usage des bons sentiments fait certainement plus de ravage que le mauvais usage des lois, mais il est comme lui une perversion qui peut aller jusqu’à ce que ces mêmes lois se retournent contre celui qui a été victime une première fois des sentiments pour l’être une seconde fois des lois. Les exemples ne manquent pas, tous aussi éclairants les uns que les autres sur la nature perfide de certains êtres, mais tous ceux qui en ont souffert en savent suffisamment pour qu’il ne soit pas utile ici d’en rajouter, en portant sa plainte devant ce qui très vite deviendrait un mur des lamentations. Pleurer (qu’on le fasse en privé si cela fait du bien) est de peu d’utilité. Il faudrait en tirer plutôt une leçon sur les lois et sur la société qui n’est pas, et en cela on ne peut songer rien lui apprendre, sans savoir mais aussi sans tenir compte de ce mauvais usage des bons sentiments. Inutile donc d’en faire le réquisitoire devant la loi comme devant la société. Les juristes voudront peut-être me reprendre en alléguant que si elle s’en tient aux faits elle n’est pas sans prendre en considération ce qu’elle appelle l’intention. Seulement les bons sentiments peuvent être détournés vers une intention qui n’est pas forcément louable, bien qu’ayant été louée par ceux qui y ont fait appel. Souvent ces derniers ont une autorité morale sur la personne abusée dans ses sentiments. Et puis je ne parle pas tant de procès fait par la société à ce dernier, la double peine, que de ce qu’il a perdu de vertu et d’innocence, car le voilà au parfum de ce qui se pratique en toute impunité. Il a pris connaissance non seulement de la perfidie de certains mais des travers de la société et des lois de cette société. Cette connaissance il faut l’avouer n’est pas à dispenser à tout le monde et c’est pourquoi je ne la dispenserai pas ici, car affaiblissant leur foi elle ternirait leur être, et n’en voit-on pas assez de ces êtres ternes et effacés ayant, à les voir, renoncés à jamais et à tout. Il vaut mieux en appeler à la méfiance plutôt qu’à la défiance de l’homme vis-à-vis de l’homme. Ne jamais le soustraire à une possible fraternité. L’on est comme ce funambule marchant sur une corde raide, il n’y a pas toujours un filet dessous pour nous recevoir. Mais l’on ne peut aimer sans risque, voilà tout ce qu’il faut savoir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire