Je ne me suis jamais fait plus grand mais me suis-je jamais fait trop petit ? Quand je pense à mes amis je me demande pourquoi ils n’écrivent pas, ils insuffleraient dans leurs écrits plus de vie que je n’insuffle dans les miens parce que je les vois plus vivre que moi. Et combien de fois à les entendre parler n’ai-je pas regretté de n’avoir pas même écrit la moitié de ce qu’ils venaient de me dire. Mais peut-être me rétorqueraient-ils : pour toi ne pas écrire c’est ne rien savoir faire de sa vie quand c’est pour nous écrire qui est ne rien savoir faire de sa vie. Et en effet qui verrait leurs vies et en comparaison la mienne trouverait la leur bien plus et mieux remplie. Mais il y en a aussi, rétorquerais-je à mon tour, qui déversent dans leurs écrits comme un trop plein de vie. Et puis, écrire ce n’est pas avoir des histoires à raconter, encore moins raconter sa vie. J’envie cependant leur manière de raconter des histoires que je n’ai rencontrée dans aucun livre. Peut-être encore Cervantes dans Les nouvelles exemplaires parce qu’il n’y introduit pas trop de descriptions, ou juste ce qu’il faut de descriptions pour que l’on s’imagine bien de quoi il s’agit, qui est ce que font mes amis. Et s’ils me parlent de leur vie, ce en quoi ils sont avares, et ils ont raison : après tout c’est leur vie pas la mienne, je ne peux alors m’empêcher de penser au Cahier gris de Josep Pla tellement ils le font avec sobriété, c’est criant de silences et de non-dits, et c’est ce que l’on aime le plus entendre, car après tout on s’en fout de la vie des autres, et cela mes amis, pas moins que Josep Pla, ne l’ignorent, et pas moins que Josep Pla quand ils parlent mes amis de leurs vies c’est des autres qu’ils parlent et les autres qu’ils font parler à leur place. Il y a beaucoup de monde dans leurs vies et autour de leurs vies. C’est comme une place animée. On a l’impression d’y être avec eux comme avec Josep Pla, et pour le coup ça n’a rien de désagréable. Je ne sais pas, par contre, qui aimerait être à ma place, dans ce désert qu’est ma vie, mieux vaut ne pas y songer. J’y invite les ermites. J’y invite les ermites et mes amis pour qui écrire serait, qui sait, comme prêcher dans le désert, quand plus personne ne lit, sans doute parce que trop de gens comme moi écrivent tandis que trop de gens comme mes amis se contentent de vivre.
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