On parle à tort et à travers du bonheur comme on parle à tort et à travers d’engagement au point qu’à ce terme trop connoté et lié au politique je préfèrerais celui d’implication ; aussi pour le considérer comme moins élitiste : on parle de l’engagement de Jean Paul Sartre et pas de celui de monsieur Tartempion. Eh bien, il faut dire que monsieur Tartempion s’implique un tant soit peu dans sa vie et qu’en cela elle s’éloigne un tant soit peu de ce que j’appellerai dorénavant le degré zéro d’existence. Quant à la prééminence que l’on accorderait sur tout au bonheur, en faisant de la sorte une valeur absolue, rien n’est moins sûr qu’elle réponde à ce besoin qu’il y a en chacun de nous d’exister comme d’accroître cette existence, d’accéder à un plus d’existence. Spinoza qui passe pour le philosophe du bonheur dit par ailleurs que chaque chose s’efforce de persévérer dans son être. Comme quoi c’est l’existence la valeur absolue : sans existence…pas de bonheur.
Qui n’a pas entendu dire : il se sacrifie pour les siens, et c’est en effet dans sa famille (et bien que l’on puisse regretter que cela n’aille pas plus souvent au-delà) que tout un chacun se sent le plus impliqué et par conséquent s’investit et parfois l’on pense à pure perte : il s’est sacrifié pour rien. Il n’y aurait pas alors de retour sur investissement. Et monsieur Tartempion lui-même en vient à le regretter, déçu comme il l’est par tant d’ingratitude, cependant, et là personne n’y comprend plus rien, il continue à s’impliquer tout autant qu’avant, voire plus que jamais, on dira encore à fond perdu. Toute cette terminologie est intéressante parce qu’elle rend compte d’un état d’esprit de la société qui s’imprime par le langage dans l’esprit de l’homme ; il est pourtant contraire à la nature de cet homme qui continue malgré tout à s’impliquer dans ce qu’il fait.
L’on accorde sans doute trop d’importance au bonheur qui serait devenu lui aussi une valeur marchande, ce bonheur que la société veut nous vendre. Alors tout aussi incompréhensible nous parait le comportement de qui « se sacrifie » et par là ne semble pas le rechercher ce bonheur. On ne se trompe peut-être pas. Ce n’est peut-être pas le bonheur que l’on recherche mais à exister. Qui dit alors que celui qui s’implique à cent pour cent n’est pas celui qui existe à cent pour cent ? Quand connaîtrait le degré zéro d’existence celui qui avide de bonheur court après les plaisirs, car ce n’est pas que l’on confonde bonheur et plaisirs mais qu’il n’y ait pas grande différence entre le bonheur si vanté qui est un bonheur matériel fait de jouissance matériel et les plaisirs. Il s’étonnera alors de ne pas le connaître ce bonheur sinon de connaître le degré zéro d’existence celui à qui tout est donné sans qu’il n’ait rien fait.
On s’élève à l’existence. Qui n’aura pas senti le passage à une existence plus haute, qui n’aura pas su gagner quelques degrés dans son existence misérable ne fera, malgré toutes les richesses du monde, que vivre au degré zéro d’existence et le ressentira cruellement. S’élever à l’existence c’est l’apprentissage de toute une vie ou, dit autrement, c’est toute une vie qui nous apprend à nous élever car on ne peut ignorer son exigence. Mais, comme on l’a vu, son message est brouillé par cet autre message qui est celui de la société : profiter, elle entend par là consommer, trouver votre bonheur dans la consommation et ce ne peut être qu’un acte répété, c’est-à-dire éternellement insatisfait, car la vie n’arrête pas de nous donner la leçon. Bienheureux sont ceux qui l’on reçue de leurs parents. On dit qu’ils ont de l’éducation. On les a élever et pas comme on élève du bétail. On les a élevé au-dessus de leur condition animale. Pour cela on le sait il ne faut pas leur avoir tout accorder, tout accorder sans qu’ils n’aient rien fait.
On peut faire plus ou moins, on peut s’impliquer plus ou moins, il vaut mieux avoir appris cela très tôt, comme très tôt ressenti le plus d’existence que cela nous apporte en retour. Mais ceux qui n’ont pas appris de leurs parents, de leurs parents pas plus que de la société, si leurs parents étaient des jouisseurs tout à leur jouissance et à l’instar de la société ne mettant rien plus haut que cela, ils apprendront alors de l’amour, car l’amour n’est pas que jouissance mais aussi souffrance et alors l’amour les élèvera. Mais s’ils pensent avoir été trompé par l'amour, s’ils pensent avoir aimé pour rien, et déçus de cela abaissent l’amour au degré zéro d’existence, à sa jouissance, si on leur rabâche à longueur de temps qu’ils se sont sacrifier pour rien, s’ils vont jusqu’à oublier à quel degré d’existence l’amour les avait portés, alors ils n’ont pas non plus appris de l’amour et ces êtres sont les plus malheureux du monde.
Je tiens pour preuve irréfutable de ce que j’avance que pour beaucoup d’entre nous on n’ait pas appris à exister en dehors de l’amour (comme si l’on n’avait pas eu d’autre maître à exister ni d’autres objets d’existence), tant et si bien que quand l’on cesse d’aimer comme d’être aimé on a l’impression que l’on cesse aussitôt d’exister. L’on retombe en effet pour beaucoup au degré zéro d’existence, car pour beaucoup l’on ne s’implique pas assez dans cette existence où l’on retrouve notre comportement frileux et égoïste pour qui pense son bonheur dans l’acquisition des choses comme des êtres et pense son malheur dans la perte de ces mêmes choses comme des ces mêmes êtres. C’est pourquoi l’on ne comprend pas plus l’avare que le collectionneur, si l’on n’est pas soi-même l’un ou l’autre, que les choses élèvent à un degré d’existence qui n’a pas plus à voir avec le profit qu’il peut en tirer que l’amour n’a à voir avec le profit que l’on peut tirer de la personne que l’on aime.
L’on aime toujours à perte. Comment comprendre que cela nous apporte cependant un plus d’existence. Il faut encore une fois comprendre pour cela le collectionneur ou l’avare en se défaisant de l’idée que c’est dans la possession, que c’est la possession qui leur apporte ce degré supérieur d’existence, c’est la société qui nous le fait penser ainsi, c’est dans son état d’esprit qui est le nôtre mal compris. Ce n’est pas tant en effet que nous possédons ces choses ou ces êtres plutôt que nous sommes possédés par ces choses ou ces êtres qui nous font être davantage. Mais pour cela il faut s’impliquer et pas à moitié sinon de tout son être. On ne peut pas tricher. On ne peut pas tricher avec la vie pas plus qu’avec les êtres en commençant par nous-même. De ce degré d’implication procèdera le degré d’existence et ce que l’on dit de l’argent on peut le dire de l’existence : on perd sa vie à la gagner ; et ceux qui aiment l’existence comme ceux qui aiment l’argent sont prêt à beaucoup perdre pour beaucoup gagner. Ils perdront finalement mais ils auront vécu à un degré d’existence insoupçonné de ceux qui n’ont pas tant investit dans la vie comme dans l’amour (qui on l’a vu n’est pas que le bonheur).
C'est qu'en dehors de l’amour il ne semble pas à monsieur Tartempion qu’il y ait rien qui puisse l’élever au-dessus du degré zéro d’existence, comme qui dirait au-dessus du niveau de la mer, et l’on comprend mieux alors pourquoi l’amour le rend si contemplatif. Tout plutôt alors le rabaisse à la plus plate existence et à s’impliquer le moins possible. Il veut le moins perdre et le plus gagner. C’est un esprit petit, chétif, craintif, et c’est celui de la société bourgeoise qui s’est imprimé en lui comme un message publicitaire en vantant un bonheur à bas prix et pourquoi pas gratuit. Il ne connaît pas le prix élevé de la vie et qui exige de lui qu’il s’élève. Il ne sait pas qu’il gagnera autant de degrés d’existence qu’il s’élèvera et que quand on croira qu’il a tout donné à la vie c’est la vie qui lui aura tout donné. Il n’est pas besoin pour cela de croire en l’au-delà. C’est la récompense ici-bas : atteindre son plus haut degré d’existence.
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