La Société du Spectacle

 

L’on est de plus en plus indifférent à sa vie. L’idée qu’il pouvait naître et se développer en nous comme une indifférence à sa vie, et qu’elle serait entretenue par des films et des romans qui s’ajouteraient à la fiction d’une actualité qui ne serait pas la nôtre mais celle du journal télévisée, « Le 20H », me traversa l’esprit à la vitesse de l’éclair et vint me frapper comme un instant de lucidité dans une vie que j’avais prétendu jusque là être la mienne. Qu’en resterait-il si l’on avait au contenant à soustraire son contenu ? Une nouvelle manière de faire le bilan de sa vie, qui résulterait être aussi originale que désastreuse. Personne n’a pourtant cédé à quiconque les droits sur sa vie. Personne n’a pourtant donné le droit à d’autres de remplir sa vie à sa place. Il faut reconnaître que c’est pourtant ce qui se passe. Et l’on ne peut pas dire non plus que ce soit à notre insu. Et l’on ne peut pas dire non plus que nous ne soyons enthousiastes et que nous ne glorifions ceux qui nous font rire et pleurer à leur guise, quand par ailleurs nous sommes gagner par une insensibilité croissante à notre malheur comme au malheur d’autrui, quand l’on est de plus en plus indifférent à notre vie comme à la vie des autres. Quel effrayant paradoxe ! Mais on ne pourra plus nous traiter d’affreux égoïstes car c’est notre vie même qui nous devient indifférente. On dirait qu’on s’en éloigne. Elle n’est plus qu’un petit point, et bientôt plus rien. Etrange aussi que de penser que quand elle nous aura définitivement quittée, nous existerions toujours. Mais notre prétention à être doit déjà en faire rire plus d’un. Triste consolation que de se dire qu’alors plus indifférent que jamais à notre vie nous ne la pleurerons pas, nous n’irons pas à son enterrement ici-bas. Non, tout cela n’est pas de moi. Qu’y a-t-il encore de moi après tout ce que j’ai vu de films et après tout ce que j’ai lu de livres ? Je me rappelle maintenant, comme une dernière réminiscence, avoir lu de Guy Debord : La Société du Spectacle.