La quantité c’est le plus. Mais ce plus c’est la négation. Pour soutenir ce que j’affirme j’apporte des preuves, je cite des exemples. Mais il y a autant de contre preuves, de contre exemples qui peuvent les réduire à néant. Mon malheur est grand. Mais le malheur de chacun est grand aux yeux de chacun si bien que mon malheur n’est plus rien, car il y a tant de chacun que le malheur de chacun n’est plus rien au vu du malheur de chacun. Il y a aussi de grands malheurs qui surviennent et affectent beaucoup de monde à la fois. Mais ces malheurs collectifs ne sont pas non plus sans rappeler d’autres malheurs collectifs. A qui irait les rappelant on pourrait l’accuser de vouloir nier l’importance des uns au vu de l’importance des autres. Qui irait aussi penser que la naissance d’un homme nie la mort d’un autre. Non, on ne pense pas jusque-là. On ne veut pas voir la réalité jusque-là. Bien qu’on se croit épris de vérité comme de réalité on la recouvre toujours d’un voile pudique qui peut être aussi celui de la raison, dont on n’est pas peu fier par ailleurs, mais dont on évite d’aller jusqu’au bout de sa démonstration qui confirmerait que la quantité c’est la négation. On en reste à la quantité c’est le plus, et alors on en veut toujours plus.
Essayons néanmoins, ne serait-ce qu’un instant, d’aller plus loin et de voir aussi, ne serait-ce qu’un instant, que la quantité c’est le moins.
Des femmes attendent le retour de leurs maris prisonniers de guerre. Quelles joies ! Quelles retrouvailles ! Mais cette joie, ce bonheur des retrouvailles, procède (c’est triste à dire) du fait qu’ils ne reviennent pas tous. Par contre, il n’est pas certain que celles dont le mari ne revient pas communient avec les autres dans la joie et le bonheur des retrouvailles, même et surtout si pour la plupart d’entre elles, même et surtout si le plus grand nombre, est de retour. Plus grand nombre encore que ce plus grand nombre serait la totalité ou presque. Mais peut-on dire alors que les femmes aujourd’hui attendent avec autant d’expectative, de force et d’amour, le retour de leurs maris du travail, que ces femmes qui attendaient le retour des prisonniers ? Pour sûr que non. Pour sûr que la quantité c’est la négation.
Prenez la publicité. On veut vous vendre une voiture. On vous la montre toute seule sur la route roulant librement, pas prise dans un embouteillage, au milieu de milliers d’autres voitures comme elle. Tout comme à une jolie femme il ne lui faut pas de rivales. Ce ne serait pas mettre en valeur sa beauté mais la nier que de mettre la jolie femme au milieu d’autres jolies femmes comme elle.
Mais descendons à un stade plus basique. Qui n’a pas fait aussi cette expérience avec la nourriture comme avec la boisson : vous buvez un verre, vous appréciez, deux un peu moins, et plus vous en buvez moins…, car il n’est pas dit que l’état d’ivresse et à plus forte raison l’indigestion soit un état appréciable.
Mais l’état de richesse serait lui un état quantifiable et d’autant plus appréciable qu’il serait quantifiable. Certes, mais jamais satisfaisant. On en veut toujours plus. Il y a toujours plus riche comme il y a toujours plus heureux. Et c’est la course vers le plus qui est la négation de la richesse (oh, ce n’est rien ce que j’ai par rapport à ce qu’il a) comme du bonheur.
Comme il faut savourer il faut s’arrêter, et c’est Horace et la médiocrité, et est médiocre celui qui s’arrête, que l’on considèrera toujours comme s’arrêtant trop tôt dans cette course à la quantité. C’est parce que l’on pense que la quantité c’est le plus. Mais ce plus c’est la négation. Voilà ce qui est aller encore plus loin.
Cependant ce n’est là qu’une évaluation grossière. Il faudrait être plus précis. Voir par exemple à partir de quelle quantité s’infléchit la courbe ascendante du bonheur, pour savoir quand le plus devient le moins, mais l’on croit trop, toute notre société croit trop, que la quantité c’est le plus, pour se livrer à de pareilles études démontrant que point trop n’en faut.
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