lundi 26 avril 2021

La dame qui peignait

 

La peinture est encore fraîche. La grille luisante au soleil. C’est une rue pavillonnaire. Des voitures sur les trottoirs souvent déserts. D’autres qui passent. Parfois l’on entend des voix. Mais il est rare que l’on croise les propriétaires de ses voix. Aussitôt sortis de leur villa qu’ils entrent dans leur voiture. Aussitôt sortis de leur voiture qu’ils entrent dans leur villa. On comprend que leur bonheur se cache derrière ses murs et ses grilles. Il reste au promeneur solitaire l’agrément de ce qui fait l’objet de toutes leurs attentions et de tous leurs soins. Mais il n’y a pas si longtemps de ça une femme juchée sur un escabeau, un bandeau lui couvrant la tête et tenant un pinceau à la main se tenait devant sa grille qu’elle entreprenait de repeindre. Spectacle insolite. Si le promeneur au passage la saluait elle répondait gentiment à son salut. Il pouvait aussi arriver qu’on lui parle. Alors elle parlait. Elle parlait et elle écoutait. Mais, consciente de son rang comme de son statut de femme, d’une façon courtoise mais sans appel, elle vous signifiait qu’il fallait penser à poursuivre votre chemin. Elle s’étonnait tout de même et vous faisait ainsi part de son étonnement comme de cette nouvelle sociabilité dont elle jouissait, quoiqu’elle ait tenu à préciser qu’elle n’en manquait pas par ailleurs. Non, n’allez pas vous imaginez que vous aviez affaire à une femme seule et désemparée. Elle se flattait de cette relation, mais c’est encore beaucoup dire, de ce contact direct et naturel qu’elle pouvait avoir avec la nature humaine fut elle fruste et élémentaire, de ce risque qu’elle prenait et qui s’avérait sûrement être pour elle plein d’une contrepartie inattendue et savoureuse, car on respectait sans doute en elle à la fois la femme et la propriétaire. De son côté, et dans sa simplicité naturelle qui n’était pas feinte, il y avait une certaine et néanmoins sensible hauteur qui ne procédait pas simplement de l’escabeau où elle était haut perchée, peut-être pas non plus de ce qu’elle peignait, de cette tâche ingrate à laquelle elle concédait sans s’abaisser pour autant ; autrement dit : son rang qu’elle ne tenait pas d’un titre de noblesse mais d’un titre universitaire valait à lui seul la reconnaissance d’un statut social et c’est de là et non pas de son escabeau qu’elle parlait au tout venant. Faudra t-il attendre pour la revoir que la peinture sèche et puis s’écaille, que la rouille à nouveau entame la grille, mais pas la chaleur humaine qui est ce que les humains ont de mieux à se communiquer.

La peinture était encore fraîche mais plus d'escabeau, plus de pinceau, plus de la dame avec son bandeau lui couvrant la tête. Mais derrière la grille luisante au soleil on entendait des voix. Je crus reconnaître la sienne. Poursuivre dans cette rue pavillonnaire. Toujours des voitures sur les trottoirs déserts. Et une qui passait. Quelques mots qui me revenaient. Mon chien, disait la dame qui peignait, mon chien qui m’attendait. Sans doute m’étais-je laissé allé à parler comme se laissent aller à parler ceux qui ne savent pas tenir leur rang ou qui n’en n’ont pas. Et à cet homme de couleur qui lui disait que ce n’est pas à une femme de faire …. A non ! Elle ne voulait pas entendre ça .... N’empêche que le lendemain l’homme de couleur pouvait à nouveau, tout comme moi, lui parler. Après un bref salut car je ne voulais pas la déranger plus avant, elle me dit alors quelques mots que j’attrapais au passage : c’était qu’elle s’étonnait qu’on lui parla si librement et, qui sait, pensais-je, si de s’entendre elle-même répondre de façon aussi libre. Mais c’était là un passé révolu. Il ne fallait plus y penser. Le travail était achevé. Même si peut-être en elle un autre travail avait commencé à moins qu’il n’eût trouvé là lui aussi son achèvement et qu’il n’aille jamais plus loin ? Quand on pense à tous ceux qui pourraient lui envier ce qu’elle a et qu’un instant elle eût pu vouloir s’y soustraire, et à tous ceux qui peuvent voir le bonheur là où certes il n’est pas sans se trouver mais aussi peut venir à manquer, car le bonheur ne dit-on pas est insaisissable comme la nature humaine et parfois il lui arrive de vouloir prendre l’air, ne serait-ce que le temps de repeindre une grille et de voir un ou deux visages inconnus avec qui partager sa même condition de mortels et ce besoin irrépressible qu’on a de se parler.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire