jeudi 17 décembre 2020

L'animal de compagnie et la paresse du pouvoir

 

Nous appartenons si pleinement à notre société que nous ne pouvons ni penser ni agir en dehors d’elle, ni même imaginer, ni même rêver en dehors d’elle. C’est encore d’après elle que nous estimons le règne animal, et dans le règne animal il y a nos animaux de compagnie. Et voilà que nous les aimons tellement que nous voulons les comparer à nous et les soumettons à tous ces tests et exercices « performatifs » qui rendent plus compte de ce qu’est notre société que de ce qu’ils sont. On les voudrait comme nous, qu’ils répondent à notre société comme nous lui répondons, c’est oublier qu’ils appartiennent au règne animal dont nous sommes sortis. Ils vont alors se révéler être dans notre société aussi idiot que l’enfant sauvage qui n’aurait pas connu d’autre société que la société des animaux sauvages au sein de laquelle il avait sans doute développé son intelligence et tous ses sens qui avec les bêtes et la nature devaient fonctionner en pleine adéquation ou rendement (mais ce terme qui nous renvoie  à la nôtre est sans doute peu approprié au règne animal). Inversement, nous qui nous sentons (et nous le sommes) si intelligent au sein de notre société ne nous montrerions nous pas à notre tour idiot si nous nous retrouvions dans la nature obligés de vivre au milieu des animaux sauvages. Notre pauvre petit animal domestique lui, que nous avons détourné de la nature et des siens, se retrouve sans autre société que celle de son maître. J’entends par là que toute sa société se limite à son maître, et que c’est seulement dans ce rapport avec son maître qu’on pourrait s’étonner des facultés qu’il peut développer.

J’avais un peu malmené le mien qui tous les soirs vient me rejoindre, se tenant près de mon lit jusqu’au petit matin. Il m’avait boudé jusqu’au soir. Je l’avais alors un peu caressé, sans doute histoire de me faire pardonner. Ce que l’on peut être faible envers ceux que l’on aime. Croyez-vous que cette faiblesse ils l’ignorent ? Tous ceux qui ont un animal de compagnie savent bien que non. Eliot, c’est le nom de mon petit chien, tenait à marquer le coup. Je le trouvais effectivement au petit matin près de mon lit. Mais il y avait néanmoins une différence avec les autres jours : Eliot avait attendu que je m’endorme pour venir retrouver sa place à mes pieds. Considérez maintenant qu’il y a toujours deux chemins : le chemin le plus long et le chemin le plus court. La balade est le chemin le plus long. Tous les jours Eliot et moi partons en balade. Un jour où il pleuvait, sans que je ne lui ai rien dit, quel chemin croyez-vous que mon chien a pris lui qui n’aime pas la pluie ? Pour observer ses réponses intelligentes de votre chien il faut cependant lui laisser la possibilité de s’exprimer librement ce qu’il, on peut aisément le comprendre, ne peut pas faire s’il est tenu en laisse, encore moins si vous le dressez. Auquel cas il ne peut qu’être méchant et bête et justifier chaque fois un peu plus la laisse et le dressage, et vous confortez dans votre position de maître. 

En ce sens on peut parler de paresse du pouvoir. On dit que les chiens observent beaucoup leur maître. En effet, non seulement ils répondent à ses commandements mais ils captent et préviennent ses moindres désirs ou hésitations. Par contre, bien souvent le maître lui se limite à constater si son chien répond ou pas à ses ordres, s’épargnant tout effort supplémentaire d’observation et de compréhension. Imaginez maintenant qu’il ne soit pas en laisse et qu’il soit encore moins dressé, il est fort possible qu’il agisse alors en tant qu’être libre et vous aurez un vrai échange, beaucoup plus riche mais beaucoup plus exigeant. Il pourra contester votre autorité et s’il se trouve qu’il en a plus que vous il pourra même vous l’imposez. C’est le risque à courir pour le connaître mieux. Pour cela il faudra encore l’observer comme jamais vous l’aurez observé jusque-là. Alors vous constaterez qu’il cherche à communiquer avec vous et que quand il reste incompris de vous il peut faire preuve d’inventivité cherchant un autre moyen de se faire entendre de vous, puis qu’il peut enfin finir par céder mais qu’il saura aussi vous montrez qu’il vous en veut pour cela, comme vous témoignez de l’affection en guise de remerciements s’il a obtenu de vous ce qu’il voulait. Pour tout dire : il y a un « marchandage » qui peut s’installer entre vous et lui comme dans tout couple. Mais tout le monde peut connaître la paresse du pouvoir et après avoir enlevé la laisse à son chien lui remettre, c’est tellement plus rassurant pour le maître, ça lui épargne tellement de soucis et d’inquiétudes, d’efforts de compréhension, et mieux encore : de passer d’un pouvoir absolu à un pouvoir relatif pour ne pas dire d’un pouvoir fort à un pouvoir si faible qu’on ne sait plus qui est le maître.

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