Je suis une autre vie qui regarde une autre vie. Je ne suis
pas sa vie. Elle n’est pas ma vie. Nous ne serons jamais la vie de l’autre.
Mais il a suffit que sa vie m’approche. Et j’ai dit qu’elle était mienne. Et
j’ai cessé de la voir comme étant sienne. Je vois ma femme et je dis c’est ma
femme, et je ne vois plus l’autre vie, et je ne vois plus l’autre femme qui
n’est pas ma femme, et que tant d’autres pour qui ce n’est pas leur femme
continuent à voir comme une autre vie, tandis que je dis c’est ma vie. Combien
à s’être trompés que la vie détrompe. Je crois la voir quand j’ai cessé de la
voir. Faut-il attendre qu’un évènement imprévu me la révèle telle qu’elle
n’a jamais cessé d’être ? C’est-à-dire elle-même et une autre. Je suis une
autre vie à qui il est impossible de voir une autre vie que la sienne. La faire
mienne pour la voir témoigne de cette impossibilité de voir une autre vie que
la sienne.
Je suis une autre vie que regarde une autre vie. Elle
s’éveille à moi, à l’autre. Je n’ignore pas qui elle voit. Mais je lui dit
c’est moi. Elle ne sait plus qui est moi. Elle sait qui est l’autre. Et l’autre
c’est moi. Moi avant qu’elle ne me fasse sienne. Moi avant qu’elle ne me
confonde avec sa vie. Moi avant qu’elle ne cesse de me voir comme l’autre. Puis
cette soudaine perte de mémoire. Elle ne sait plus qui je suis pour elle. Elle
sait enfin que je suis une autre vie que la sienne. Je le vois dans son regard.
Je me vois dans son regard. Il est comme un miroir absent où seul je serais
présent.
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