mardi 11 août 2020

L'autre


Je suis une autre vie qui regarde une autre vie. Je ne suis pas sa vie. Elle n’est pas ma vie. Nous ne serons jamais la vie de l’autre. Mais il a suffit que sa vie m’approche. Et j’ai dit qu’elle était mienne. Et j’ai cessé de la voir comme étant sienne. Je vois ma femme et je dis c’est ma femme, et je ne vois plus l’autre vie, et je ne vois plus l’autre femme qui n’est pas ma femme, et que tant d’autres pour qui ce n’est pas leur femme continuent à voir comme une autre vie, tandis que je dis c’est ma vie. Combien à s’être trompés que la vie détrompe. Je crois la voir quand j’ai cessé de la voir. Faut-il attendre qu’un évènement imprévu me la révèle telle qu’elle n’a jamais cessé d’être ? C’est-à-dire elle-même et une autre. Je suis une autre vie à qui il est impossible de voir une autre vie que la sienne. La faire mienne pour la voir témoigne de cette impossibilité de voir une autre vie que la sienne.

Je suis une autre vie que regarde une autre vie. Elle s’éveille à moi, à l’autre. Je n’ignore pas qui elle voit. Mais je lui dit c’est moi. Elle ne sait plus qui est moi. Elle sait qui est l’autre. Et l’autre c’est moi. Moi avant qu’elle ne me fasse sienne. Moi avant qu’elle ne me confonde avec sa vie. Moi avant qu’elle ne cesse de me voir comme l’autre. Puis cette soudaine perte de mémoire. Elle ne sait plus qui je suis pour elle. Elle sait enfin que je suis une autre vie que la sienne. Je le vois dans son regard. Je me vois dans son regard. Il est comme un miroir absent où seul je serais présent.

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