Il ne doit pas y avoir de doute qu’en celui qui passe ses
journées à voir la télé on voit quelqu’un qui regarde la télé, comme on voit
quelqu’un qui mange en celui qui passe ses journées à manger. Et celui qui lit
ne doit pas demander autre chose à ses lectures qu’on voit en lui autre chose
que quelqu’un qui passe ses journées à voir la télé ou à manger, c’est-à-dire
que même s’il ne se souvient de rien de ce qu'il a lu on verra en lui quelqu'un qui passe ses journées à lire. Ce qui nous façonne commence par un travail intérieur, pas toujours,
pas immédiatement, apparent, qui nous laisse penser parfois toute une vie qu’on
reste inchangé quand on est en perpétuel changement ; et comme on est
nous-mêmes sujet et objet de ce changement il ne peut être par nous
perceptible. Comme on ne peut non plus changer en partie, partie dont les
autres parties de nous-mêmes seraient consciente et rendraient compte : c’est
complètement que l’on change, il ne reste rien en nous qui puisse en rendre
compte, comme nous ne pouvons rendre compte de celui que nous avons été, car il
ne reste rien en nous de ce qui a été. Ce qui fait l’objet de nos souvenirs ce
n’est pas le même sujet qui en parle, et si nous envisageons le futur ce n’est
pas pour autant comme cela que nous le verrons et vivrons : l’objet de nos
pensées connaîtra ou sera connu par un autre sujet. Tout ça pour dire que nous
ne savons pas de quoi est fait notre identité et nous n’en sauront pas plus en
nous tournant vers notre passé qu’en voulant faire de nous quelqu’un ( c’est-à-dire
quelqu’un dont nous nous faisons une certaine idée) dont nous ignorons en
réalité qui il sera. C’est la même prétention qui a fait certains répondrent à la
question de quel livre les avait changés. Trop souvent l’on prend pour des
moyens ce qui pourraient n’être pas autre chose que des fins en soi. De même
que je ne mange pas pour grossir ou pour ne pas mourir de faim ; je mange
pour manger, je ne poursuis pas d’autre fin que ma faim ; de même pourquoi
lirais-je pour m’instruire ou retenir quoique ce soit de ce que je lis ;
il y en a qui serait bien embêter de dire pourquoi ils lisent parce qu’ils ont
cessé de chercher a obtenir à travers ce qu’ils font autre chose que ce qu’ils
font : ils sont dans leur lecture, ils sont dans ce qu’ils font ;
cesseront de lire ceux qui font les choses non pour elles-mêmes mais pour ce qu’elles
leur rapportent, non pour elles-mêmes mais pour autre chose que par elles ils
veulent obtenir, les considérant comme moyens visant à une fin. Toujours l’on
est tendu vers une fin et tout n’est plus que moyens visant cette fin. Et, c’est
comme n’être jamais ce que nous sommes, n’être jamais à ce que nous faisons,
compromettre notre identité en ne voulant pas y adhérer, car malgré nous et il
ne doit pas y avoir de doute en cela qu’en celui qui passe ses journées à voir
la télé on voit quelqu’un qui regarde la télé, comme on voit quelqu’un qui
mange en celui qui passe ses journées à manger et seulement quelqu’un qui lit
en quelqu’un qui passe ses journées à lire (bien qu’il prétende par cela
devenir autre chose). Car que nous le voulions ou pas, nous sommes ce que nous
faisons et ce que nous faisons en nous faisant fait de nous ce que nous sommes,
autant dire, sommes-nous en perpétuel devenir, mais toujours une fin (une autre
façon de nommer l’identité et sa compromission) et jamais un moyen si tant est
que pour être il faut cessé de vouloir être.
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