Cette catégorisation est ce qui en égare plus d’un sur la
piste du mal. Le mal n’est pas plus l’apanage des méchants qu’il n’est étranger
aux bons. Il suffirait alors d’éloigner de nous les méchants comme si, éloignés
de nous, non seulement ils ne pourraient plus nous atteindre mais ils se
dissiperaient dans l’air ou se retrouveraient réduit à vivre entre eux, qui est
ce que tout le monde pense et qu’avec tout le monde je pensais, mais qui n’a
pas fait l’expérience que les méchants avec qui il ne ferait plus commerce ne
se sont pas pour autant volatilisés dans l’air ou retirer de la société mais ne
faisant plus commerce avec lui font commerce avec d’autres, faisant toujours
parti d’une humanité qui n’est en rien différente de la sienne, y comptant
comme lui des amis comme des ennemis, ni plus ni moins. Et s’il se met à
réfléchir sur ces méchants et à la relation qu’il a pu avec eux entretenir il
se rendra compte qu’elle n’était en rien différente de celle qu’il a toujours
entretenu avec autrui et à laquelle ils ont su répondre sans s’en différencier.
Seul l’acte serait révélateur de la personne et il n’y a qu’une fois l’acte
commis qu’on saurait qui est qui, et encore. En tout cas le mal est fait et
l’on s’étonne toujours comme pouvait s’étonner Hannah Arendt de la bonne
société qui y avait participer, car c’est toujours la nôtre la bonne société et
le mal l’étranger. On n’est du côté du droit, du bon, du juste ; de là
rien ne pourrait venir d’illégal, de mauvais, d’injuste. Et qu’on sache qu’il y
a des policiers véreux ou des médecins malfaisants n’empêche rien. Dès que cela
va mal pour nous on accourt voir les premiers secours et se confie au policier
comme au meilleur des hommes qui ne serait là que pour nous aider sans
considération de notre couleur, de notre sexe, de notre statut et condition, de
notre attitude et langage, de tout ce sur quoi tout homme fonde son jugement et
ses a priori ; c’est le policier ce n’est plus l’homme que l’on voit mais la
catégorie. Il en va de même quand souffrant on va chez le médecin, on est
obséquieux, puis l’on se confie comme on ne se confierait pas à un ami, à une
amie, encore moins à son conjoint, et au confesseur quand plus personne ne va à
confesse ; c’est qu’on ne voit plus la personne mais le médecin, la
catégorie. Et ce qui est vrai pour certaines catégories sociales s’étend à
toute la société que l’on peut à la fois dénigrer tout en y faisant non
seulement parfois appel mais en n’en cherchant toujours la reconnaissance,
comme s’il ne pouvait en venir que du bien et s’étonnant du mal qu’on en
reçoit. Et les Westerns comme les films policier ne font que contribuer par
cette catégorisation à notre égarement. Il n’est pas question ici seulement de
manichéisme : d’un côté le bien de l’autre le mal, mais bien de
catégorisation, comme si de certaines catégories on ne pourrait attendre que le
bien, et cela est tellement inscrit en nous que même les dénigrant on n’y
échappe pas : pourquoi s’en étonnerait-on sinon, pourquoi Hannah Arendt
aurait-elle écrit « Les assassins du IIIe Reich non seulement menèrent une
vie de famille impeccable, mais ils aimaient passer leur temps libre à lire
Hölderlin et à écouter du Bach » ou quelques pages plus loin « ce
que les Français appellent les bien-pensants ont davantage de chances de
devenir très peu respectables voire criminels que la plupart des bohémiens et
des beatniks. » Quand plus personne ne s’étonnera de cela avec Hannah
Arendt peut-être alors pourront nous commencer à considérer le mal
indépendamment de tout autre considérations ne conduisant qu’à des
catégorisations comme les bons et les méchants mais pas au mal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire