On est bien la dernière personne que l’on voudrait connaître,
le savoir qui je suis est bien le signe d’un repli sur soi, le signe identitaire.
Il était vieux et il entendait encore le chant de l’autre, le chant de l’autre
est un chant érotique, c’est le chant des sirènes dont on a tellement de mal à
se déprendre. Il continuait à entretenir en lui cette illusion de l’autre avec
qui l’on voudrait être au point de se confondre, de confondre notre existence
avec la sienne et de dire que sans lui on n’est rien. Le sentiment le plus fort
qu’il ait jamais connu est bien celui qui l’a privé de lui-même, fait qu’il s’oublie
et ne pense plus qu’à l’autre. C’est pourquoi se disait-il encore il est si
dure de se séparer de l’autre, comme de cesser d’exister quand ce n’est que
retrouver cette existence propre qui n’est jamais celle que l’on a voulu pour
nous ; qui se veut soi-même ne veut plus rien, ne désire plus rien, est
méconnaissable à lui-même qui ne s’était reconnu qu’en l’autre. Son image n’est
qu’une image éclatée, celle de reflets dans l’eau et de trop les approcher
risque de se noyer là où il voyait celle du désir qui n’est peut-être que le
désir d’être l’autre pour mieux se perdre, perdre la dernière personne que l’on
voudrait connaître car l’on parle trop de la fuite de l’autre quand l’autre est
fuite de soi et il ne savait plus trop si le courage c’est de s’attacher à un mat ou
de se jeter à l’eau pour se noyer en l'autre qui est, pensait-il, toujours préférable à se noyer tout seul, seulement qu’il avait toujours en lui la tentation de le
faire parce que ce chant bien que lointain arrivait encore à ses oreilles et qu’il
l’entendait et sûrement l’entendrait toujours.
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