mercredi 8 juillet 2020

Le chant des sirènes


On est bien la dernière personne que l’on voudrait connaître, le savoir qui je suis est bien le signe d’un repli sur soi, le signe identitaire. Il était vieux et il entendait encore le chant de l’autre, le chant de l’autre est un chant érotique, c’est le chant des sirènes dont on a tellement de mal à se déprendre. Il continuait à entretenir en lui cette illusion de l’autre avec qui l’on voudrait être au point de se confondre, de confondre notre existence avec la sienne et de dire que sans lui on n’est rien. Le sentiment le plus fort qu’il ait jamais connu est bien celui qui l’a privé de lui-même, fait qu’il s’oublie et ne pense plus qu’à l’autre. C’est pourquoi se disait-il encore il est si dure de se séparer de l’autre, comme de cesser d’exister quand ce n’est que retrouver cette existence propre qui n’est jamais celle que l’on a voulu pour nous ; qui se veut soi-même ne veut plus rien, ne désire plus rien, est méconnaissable à lui-même qui ne s’était reconnu qu’en l’autre. Son image n’est qu’une image éclatée, celle de reflets dans l’eau et de trop les approcher risque de se noyer là où il voyait celle du désir qui n’est peut-être que le désir d’être l’autre pour mieux se perdre, perdre la dernière personne que l’on voudrait connaître car l’on parle trop de la fuite de l’autre quand l’autre est fuite de soi et il ne savait plus trop si le courage c’est de s’attacher à un mat ou de se jeter à l’eau pour se noyer en l'autre qui est, pensait-il, toujours préférable à se noyer tout seul, seulement qu’il avait toujours en lui la tentation de le faire parce que ce chant bien que lointain arrivait encore à ses oreilles et qu’il l’entendait et sûrement l’entendrait toujours.

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