mercredi 8 juillet 2020

Des vacances à Saint-Maur


Il n’avait pas à fouiller dans sa mémoire, rien n’était bien différent au moment qu’il était sur les bords de Marne désertés par les propriétaires de belles villas maintenant fermées ou habitées à minima, c’est-à-dire de gens de services ou qui par l’âge ou le handicap n’ont pas pu suivre le lot des vacanciers, et celui où il rejoignait avec sa grand-mère la riche demeure de l’oncle Jo parti lui aussi avec sa petite famille, et le ménage qui restait à faire, aérer les pièces, et surtout qu’on ne sente pas l’abandon, donner à l’ensemble un semblant de présence, d’animation des lieux, qui était aussi une impression de vie au ralenti comme celle qu’il ne pouvait s’empêcher de ressentir en ce mois de juillet à Saint-Maur-des-Fossés qui avait en des temps reculés et comme l’histoire le disait été lieu de villégiature de la Cour. On aurait dit que les valets étaient restés et qu’il en faisait parti comme quand avec sa grand-mère il se rendait à la maison de l’oncle Jo. On aurait dit aussi que la faune qui jamais ne s’y montrait sur la promenade des bords de Marne s’y hasardait aussi avec lui dans le calme de l’été comme cet homme aux cheveux clairsemés que le vent encore effilochait qu’on aurait dit passer comme une ombre ou pas lui-même car il n’aurait encore osé mais la projection de lui-même et dont jamais il ne croiserait le regard car il regardait ses pieds. Heureusement tout le monde n’était pas encore parti et c’était comme un reste de gaieté que ceux qui allaient partir mais étaient encore là, tellement la gaieté semblait tenir à la possibilité de partir et ceux qui restait avoir le visage terne et renfermé de ceux que l’on prive d’air et de soleil, ce qu’il y avait en cette belle journée estivale mais dont ils ne semblaient pas profiter comme si les soucis ne partiraient que si l’on partait, et que l’impossibilité même où ils se trouveraient de partir ne leur permettait pas de distinguer cette saison de toute autre saison de l’année. Peut-être comme une arrière-saison sur la côte où tout le monde maintenant était et c’est comme cela que lui le vivait, car les bords de Marne ne déméritaient aucuns lieux de villégiatures. Ceux qui étaient encore là avaient beau crié plus fort comme pour remplir le vide laissé par ceux qui étaient partis, ils n’y arrivaient pas, pas davantage les voitures qui passant moins vites chercheraient à former des embouteillages. On en arriverait presque à regretter le bruit, la promiscuité, le flot tendu des voitures comme des vélos et parfois même des promeneurs du bord de Marne trop nombreux pour qu’on les connaisse, tandis que des visages devenaient familiers à force de les voir et d’autres qu’on n’avait jamais vu ou très peu qui était celui de ceux qui n’avaient jusque-là jamais osé se montrer ou trop anodin, vulgaire peut-être, ou sur lesquels on ne s’était pas arrêté et qui à défaut de mieux  ou que l’on ne pouvait plus éviter de voir, quoiqu’il y en ait bien qui fasse encore le détour pour ne pas voir la misère ou la détresse, mentale ou physique, et à cela même on pouvait deviner que c’était ceux qui étaient promis à partir en août. Lui avait toujours préféré l’arrière saison, il y avait trop d’avidité, trop de frénésie, qui était tout ce qu’il craignait, tout ce qui le mettait mal à l’aise, à être avec tout le monde ou avec ceux qui ne voulaient pas renoncer à en faire parti ; puis, depuis qu’il avait accompagné la grand-mère chez Jo, peut-être l’avait-il accompagné trop souvent, il avait pris goût à cette vie bourgeoise sans le bourgeois.

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