Il n’avait pas à fouiller dans sa mémoire, rien n’était bien
différent au moment qu’il était sur les bords de Marne désertés par les
propriétaires de belles villas maintenant fermées ou habitées à minima, c’est-à-dire de gens de services ou qui par l’âge ou le handicap n’ont pas pu
suivre le lot des vacanciers, et celui où il rejoignait avec sa grand-mère la
riche demeure de l’oncle Jo parti lui aussi avec sa petite famille, et le
ménage qui restait à faire, aérer les pièces, et surtout qu’on ne sente pas l’abandon,
donner à l’ensemble un semblant de présence, d’animation des lieux, qui était
aussi une impression de vie au ralenti comme celle qu’il ne pouvait s’empêcher
de ressentir en ce mois de juillet à Saint-Maur-des-Fossés qui avait en des
temps reculés et comme l’histoire le disait été lieu de villégiature de la
Cour. On aurait dit que les valets étaient restés et qu’il en faisait parti comme
quand avec sa grand-mère il se rendait à la maison de l’oncle Jo. On aurait dit
aussi que la faune qui jamais ne s’y montrait sur la promenade des bords de
Marne s’y hasardait aussi avec lui dans le calme de l’été comme cet homme aux
cheveux clairsemés que le vent encore effilochait qu’on aurait dit passer comme
une ombre ou pas lui-même car il n’aurait encore osé mais la projection de
lui-même et dont jamais il ne croiserait le regard car il regardait ses pieds.
Heureusement tout le monde n’était pas encore parti et c’était comme un reste
de gaieté que ceux qui allaient partir mais étaient encore là, tellement la
gaieté semblait tenir à la possibilité de partir et ceux qui restait avoir le
visage terne et renfermé de ceux que l’on prive d’air et de soleil, ce qu’il y
avait en cette belle journée estivale mais dont ils ne semblaient pas profiter
comme si les soucis ne partiraient que si l’on partait, et que l’impossibilité
même où ils se trouveraient de partir ne leur permettait pas de distinguer
cette saison de toute autre saison de l’année. Peut-être comme une
arrière-saison sur la côte où tout le monde maintenant était et c’est comme
cela que lui le vivait, car les bords de Marne ne déméritaient aucuns lieux de
villégiatures. Ceux qui étaient encore là avaient beau crié plus fort comme
pour remplir le vide laissé par ceux qui étaient partis, ils n’y arrivaient
pas, pas davantage les voitures qui passant moins vites chercheraient à former
des embouteillages. On en arriverait presque à regretter le bruit, la
promiscuité, le flot tendu des voitures comme des vélos et parfois même des
promeneurs du bord de Marne trop nombreux pour qu’on les connaisse, tandis que
des visages devenaient familiers à force de les voir et d’autres qu’on n’avait
jamais vu ou très peu qui était celui de ceux qui n’avaient jusque-là jamais
osé se montrer ou trop anodin, vulgaire peut-être, ou sur lesquels on ne
s’était pas arrêté et qui à défaut de mieux
ou que l’on ne pouvait plus éviter de voir, quoiqu’il y en ait bien qui
fasse encore le détour pour ne pas voir la misère ou la détresse, mentale ou
physique, et à cela même on pouvait deviner que c’était ceux qui étaient promis
à partir en août. Lui avait toujours préféré l’arrière saison, il y avait trop
d’avidité, trop de frénésie, qui était tout ce qu’il craignait, tout ce qui le
mettait mal à l’aise, à être avec tout le monde ou avec ceux qui ne voulaient
pas renoncer à en faire parti ; puis, depuis qu’il avait accompagné la
grand-mère chez Jo, peut-être l’avait-il accompagné trop souvent, il avait pris
goût à cette vie bourgeoise sans le bourgeois.
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