Il se sentait comme
libéré mais il n’aurait su dire de quoi, comme de tout ce qui ne l’atteignait
plus, du grand poids de l’existence, aurait-il encore dit car il se sentait
plus léger, plus libre et il se mettait à penser que l’existence c’était peut-être
ça et qu’il n’y avait jusque là jamais eu accès, que des portes s’étaient
ouvertes comme des portes de l’air, les portes qui ne donnent sur rien seraient
celles qui libèrent de tout et le monde ne semblait qu’une rumeur lointaine de
quelque chose qui se serait bien passé mais qui n’aurait plus lieu d’être et
que de cette rumeur lui venaient des bruits qui lui auraient paru étrangers
quand ils lui étaient maintenant familiers ou tout aussi étranger à sa personne
quoique l’environnant ; il avait presque envie de dire qu’il avait le
sentiment de l’environnement où s’évanouissait tout sentiment personnel mais qu’en
même temps il s’en sentait détaché, rien ne pouvant l’affecter, comme
les ombres que l’on voit et ne peuvent nous toucher, que ces ombres étaient
habités de rêves qui étaient tous des rêves d’existences, de possibilité d’habiter
une existence, tandis que lui l’affranchi se sentirait libre de toute existence.
Il lui paraissait que les meilleures propositions pouvaient lui être faite ou
celles que jadis il aurait tenues comme meilleures et qui toutes étaient des
propositions d’existence qu’il les aurait refusé en bloc. Se jeter dans l’existence
lui apparaissait comme se jeter dans la mer, ce qu’il avait toujours désiré et
il se demandait s’il ne se contenterait plus que de la contempler qui est ce
que justement une fois dedans on ne peut pas faire. L’être contemplatif c’était
peut-être celui à qui on reprochait de ne pas intervenir dans nos affaires :
Dieu, et qu’il comprenait mieux, comme il comprenait mieux l’inutilité de toute
action et le changement comme un jeu d’ombres n’affectant en rien l’immuable.
Il se demandait encore si la mort le frappait s’il la sentirait et en même
temps qu’il était plus libre et plus vivant que jamais. L’étrangeté, le
sentiment d’étrangeté était aussi ce qui donnait à sa vie même une liberté qu’elle
n’avait pas connue, enfermée comme elle l’avait été dans les barrières du
raisonnable, de l’explicable, et de tout ce qu’il voulait en faire, à quoi il
voulait la faire docile se plier, obtempérer à sa souveraine volonté, et si
elle se rebiffait mater, et mater matant ce qu’il y a en lui de vie qui
toujours échappe ou meurt de ne pouvoir échapper. Tout cela d’un coup il le
savait quoique cela ne soit pas quelque chose que l’on puisse savoir mais
sentir et c’était cela l’étrangeté, ce qui pouvait le faire se sentir comme
étranger à lui-même, lui-même comme une construction dérisoire, un château de
sable, un jeu pris trop au sérieux et l’autodérision elle-même était un jeu devenu
trop sérieux pour lui, il ne se moquait pas de lui, encore moins de sa vie. La
profondeur d’un ciel rien de plus léger et de plus profond à la fois, que
sait-on de la profondeur d’une vie ? N’était-ce pas pour le moins étrange
que la légèreté procède de la profondeur ? Et quand on dit qu’on aime sa
vie on ne dit pas encore qu’on aime la vie. Il n’était pas sûr d’aimer sa vie
mais de commencer à aimer la vie.
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