C’est faux. Mais c’est comme ça qu’on dit : j’ai pensé
à toi. Quand penser c’est cesser de sentir, car, quand la pensée s’installe, si
je puis dire, le sentiment nous quitte, et c’est ce que j’appellerai la
trahison de la pensée. Mais ma pensée était trop occupée à lire, à lire
d’autres pensées qu’elle faisait tout aussitôt siennes. Ah ! mon ami, que
de merveilleuses pensées que celles de Simone Weil dans La personne et le
sacré, et qui lui ont fait écrire : « Il y a depuis la petite enfance
jusqu’à la tombe, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui,
malgré toute l’expérience des crimes commis, soufferts et observés, s’attend
invinciblement à ce qu’on lui fasse du bien et non du mal. C’est cela avant
toute chose qui est sacré en tout être humain »
Mais comme il serait plus
juste de dire : je t’ai senti, non pas comme l’on sent une présence, voire
même une absence, si l’on ne peut parler toutefois de la présence d’un
sentiment doux et réconfortant, celui de l’ami qui n’arrive pas jusqu’à l’ordre
de la pensée. Non, je n’ai pas pensé à toi qui serait ce que nous avons fait,
dit, ou même sentis ensemble, qui comme tu le vois ne serait déjà même plus
penser à toi sinon à nous, quand ce n’était que le sentiment connu de l’amitié,
de cet amitié particulière qui nous lie, qui m’envahissait et me rappelait à
toi, ou plutôt qui te rappelais à moi, car aussitôt je sus que c’était toi,
mais voulu en rester là, à ce sentiment si cher à mon cœur, ne pas le trahir,
et poursuivre ma lecture et le cours de mes pensées qui ne faisait que suivre
celui d’un être éclairé parce que doté non seulement d’un esprit mais d’une âme,
pour ne pas dire d’un sens du sacré.
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