Des questions sur l’existence qu’il se posait il en était
une des plus saugrenue. Il se souvenait de ce qu’on disait qu’une personne
existe tant qu’on pense à elle et cela l’amena à se demander s’il n’y avait pas
des morts qui existeraient plus que des vivants du nombre desquels d’ailleurs
il se comptait, car qui pensait à lui ? Peut-être n’y avait-il à l’instant
personne qui ne pensait à lui et pourtant, se disait-il, il existait, que celui
qui était mort de penser à lui ne le ferait pas ressusciter. Et puis, il n’en
savait rien si l’on ne pensait pas à lui. Que lui pensa que non, que personne
ne pensait à lui, par contre pouvait bien faire qu’il se senti moins exister.
Il s’agissait donc du sentiment de l’existence et pas de l’existence même. Les
autres participent donc du sentiment que l’on a de l’existence. Celui qui est
seul parce qu’il est seul a le sentiment de moins exister. Mais la solitude
elle-même est souvent plus un sentiment, le sentiment d’être seul, que le fait
d’être seul. Tout bien considéré on n’est jamais seul même quand on est seul.
La preuve en est qu’on peut rejoindre les autres à tout moment, ou la pensée
des autres nous habiter, ou les habiter par notre pensée. Mais effectivement
seul un vivant peut se sentir seul, plus seul qu’un mort, et se dire qu’on ne
pense pas à lui, qu’on n’a jamais pensé à lui, qu’il pourrait être mort qu’on
ne le saurait pas, qu’il était en quelque sorte mort pour tous ceux qui n’avaient
pas mémoire de son existence, moins mémoire de son existence présente que de l’existence
passée d’un mort, et de se demander ce que valait une existence qui ne valait
pour personne d’autre que soi-même ? Et de se demander ce que valait pour
lui l’existence des autres ? A qui il pensait ? A qui il ne pensait
pas ? Et que si l’existence était ainsi quantifiable on relèverait une
différence d’existence entre les êtres humains qui serait de loin supérieure à
toute différence de salaire jamais relevée entre eux et comme la plus grande
injustice ceux qui seraient riches d’existence par rapport à ceux qui seraient
pauvres d’existence et il ne comprenait pas que l’on ne s’attaqua pas à cette
injustice là, majeure, plutôt qu’à toutes les autres, qui en regard de celle là
lui apparaissaient comme mineures, et que plutôt que penser à accroître le
produit national brut il fallait penser à accroître non pas comme il avait
entendu que cela se faisait dans un très petit pays, que l’on y pensait au
bonheur et à l’accroître, mais à faire en sorte que chacun ait le sentiment d’exister
et c’est là qu’il ne pouvait qu’enchaîner, le sentiment d’exister pour les
autres, et comprendre par cet enchaînement combien notre sentiment d’exister
était tributaire des autres, combien l’on n’existait que par les autres, et
combien en cela l’épreuve de la solitude était éclairante, non pas cette
solitude des navigateurs en solitaire qui par les moyens modernes de
communication continuent à être en relation avec les leurs, mais justement
celle de ceux de plus en plus nombreux, dont il se disait faisant parti, qui ont
perdu tout contact avec le monde des
vivants en général et les leurs en particulier. La perte du contact, la perte des liens, voilà ce qui affecte
dangereusement le sentiment d’exister quand il leur est fait régulièrement
offense par tous ceux qui parlent de se
retrouver, qu’il est bon parfois de se retrouver (ils entendent par là seul avec eux-mêmes), quand ils, ces nantis, les
seuls qu’il pu vraiment considéré comme nantis, imbus de leur sentiment d’exister
faisaient par ces propos preuve d’un affligeant mépris ou ignorance de ceux qui
n’ont jamais existés pour les autres sinon moins que n’existent leurs morts.
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