jeudi 6 juin 2019

La veste

- Vous le connaissez depuis longtemps?

Il y avait une pointe de jalousie dans sa voix qui ne pouvait manquer de l'agacer. Ce n'était qu'une gosse, une jolie gosse certes. Dire qu'ils n'avaient jamais voulu en avoir et, ironie du sort, la première chose qu'elle vit c'est cette gamine, car enfin quel âge pouvait t-elle avoir? 16 ans, 17 ans, pas plus, non, pas plus, qui pleurait à chaudes larmes. D'un coup cela lui revint: c'est à cet âge là qu'elle avait eu le coup de foudre pour celui qui bien des années après deviendrait son mari. Un bel homme, et il l'était resté, mais quel idiot, elle lui avait pourtant dit qu'avec son coeur il valait mieux éviter les sports à risque. La plongée n'est pas un sport à risque, qu'il lui répondait invariablement, jusqu'à cet après-midi où elle dût quitter son travail en urgence parce que son mari venait d'avoir un accident de plongée, lui avait t-on dit au téléphone. Et voilà qu'elle le trouvait raide mort avec cette gosse pour le pleurer, quand elle, encore pleine de ressentiments, et cette pointe de jalousie qui l'agaçait, avait les yeux secs et durs.

- Non, non ...

Dit la gosse entre deux sanglots et elle lui tendit la veste de son mari. Elle avait découvert les frêles épaules et le corps gracile d'une femme jeune, mais qui avait néanmoins atteint l'âge nubile, ça se voyait à ses petits seins bien fermes qui se dissimulaient mal sous une chemise trempée de larmes, et sa voix n'était déjà plus celle d'une enfant. Comment se faisait t-il qu'elle se trouva en possession de la veste de son mari? Cela méritait une explication qu'elle était pour lors incapable de lui donner. Il fallait attendre un peu qu'elle se calme. Elle aurait pu être leur fille. Malgré son irritation doublée d'impatience, elle envisagea un instant qu'elle fût leur fille, et la regarda, oui! elle lui ressemblait, et elle se regarda elle-même à la fenêtre où le soir tombait, mais ce qu'elle vit d'elle ne lui plût guère. Elle se dit alors qu'elle ressemblait plutôt à la jeune fille qu'elle avait été, ce qui la fit s'attendrir un peu et cela s'entendit quand elle lui répéta alors, mais avec une voix plus douce:

- Vous le connaissez depuis longtemps?

Dehors le bleu du ciel et le bleu de la mer s'étaient rejoints dans la pénombre d'un jour qui tardait cependant à se coucher définitivement. C'était le début de l'été. On ne pouvait voir que l'écume blanche des vagues se brisant sur le rivage qui scintillait comme peuvent scintiller au ciel les étoiles, des étoiles qui mourraient ce jour-là sur la plage. Elle se sentit étonnement sensible à tout çà, attentive à tout ça, au point que, quand la jolie gosse se mit  enfin à parler, elle eut un petit sursaut comme celui de quelqu'un que l'on tire brutalement de son sommeil. Ses yeux quittèrent alors la fenêtre pour se poser sur Yvelines. Elle avait cru entendre qu'elle s'appelait Yvelines et voyait, maintenant qu' Yvelines avait retiré les mains de devant ses yeux, qu'ils étaient bleus comme les siens, mais d'un bleu plus brillant et pur et limpide, comme avec un peu d'écume.

Elle s'était à moitié assoupie, le dos appuyé à la façade d'une bâtisse qui servait d'entrepôt et où il y avait les zodiacs et le matériel de plongée. C'est là qu'elle aimait venir, le matin tôt, et regarder la mer, et écouter la mer, sans que personne ne vint la déranger ou lui parler. Assister au lever du jour était pour elle comme assister à un miracle, et c'est à cette heure du jour où l'on a encore espoir qu'il soit différent des autres, que ce soit vraiment un jour nouveau, qu'il apportât quelque chose de nouveau, qu'elle le vit venir vers elle. Il ne faisait en vérité que de se diriger vers l'entrepôt et ne l'avait pas encore vue. Il faisait encore bien sombre et c'est presque s'il allait buter sur elle. Yvelines se permit alors un petit bonjour timide pour l'avertir de sa présence. Il lui sourit et lui demanda ce qu'elle faisait là à cette heure si matinale. Oh! rien, qu'elle lui répondit embarrassée. Elle aima le fait qu'il n'insista pas, mais plutôt la couvrit d'un geste tendre de sa veste qu'il venait de quitter la voyant frissonner un peu. Elle se laissa faire. Un petit remerciement. Un mince sourire. Il alla chercher les bouteilles d'oxygène et sa combinaison, elle voulut lui rendre sa veste. Non! dit t-il, quand je reviendrai, le soleil sera haut dans le ciel, il fera jour et chaud, alors, si tu veux me rendre ma veste, tu n'as qu'à m'attendre jusque là.

Elle tendit la veste à la femme. Non! garde là, dit la femme à Yvelines dont elle essuyait maintenant les larmes sur les joues. La jolie gosse continuait à se laisser faire sans rien dire. On voyait bien qu'il lui manquait un père et une mère, mais ça elle était bien trop fière pour le dire. Tu dois avoir faim, ajouta la femme. Elle pensait que son mari à son retour de plongée lui aurait sûrement offert quelque chose à boire et aussi à manger, peut-être même l'aurait t-il amenée à la maison pour la lui faire connaître et l'aurait t-elle eue un peu avec elle à la cuisine, et, elle qui n'avait jamais voulu avoir d'enfant, lui aurait dit qu'elle pouvait revenir quand elle voulait. Mais voilà, il était mort cet idiot avec sa plongée et son coeur malade. Encore une pointe de jalousie quand elle songea que ses dernières pensées avaient dû être pour Yvelines. Il avait dû se dire avant de rendre l'âme que la jolie gosse devait l'attendre pour lui rendre sa veste qui à nouveau recouvraient ses frêles épaules et son corps gracile de jeune femme. Puis, elle se reprit, et pour la première fois lui sourit. Elle l'avait invitée à prendre une petite collation.

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