samedi 8 juin 2019

L'évadé


Il avait peur il avait toujours eu peur il n’en parlait jamais à personne à qui il en aurait parlé Il se retrouvait dans le vestiaire c’était un enfant qui se déshabillait et qui n’aimait pas à se déshabiller devant les autres enfants il ne les regardait même pas quand il se déshabillait, sans quoi il aurait vu qu’ils n’étaient pas bien plus gros que lui mais il se disait qu’en ne les regardant pas ils ne le regarderaient pas à leur tour il n’était pas curieux de savoir comment ils étaient faits il avait surtout peur qu’ils voient comment lui était fait il se trouvait si maigre et respirait mal ça se verrait mieux maintenant qu’il était torse nu qu’il était maigre et qu’il respirait mal et il s’empressa de passer un maillot dans lequel il nageait un maillot qui flottait autour de son corps maigre comme un drapeau au vent ou des habits pendus à la corde à linge et ses pieds étaient trop grands il s’empressait aussi de les chausser même si les chaussures lui faisaient toujours mal : il avait tellement honte d’avoir de grands pieds que là non plus il ne disait rien à personne et à qui il l’aurait dit.
C’était l’heure de sport deux heures en fait et ils s’étaient tous déshabillés et rhabillés très vite en shorts et chaussures de sport et un maillot de corps qui laissait voir ses longs bras tout maigres ce qu’ils avaient pu pousser ses bras et ses jambes et ses pieds on aurait dit beaucoup mais c’est parce qu’il était maigre parce qu’il n’était pas grand non plus jamais il ne se regardait dans une glace mais il lui arrivait d’être surpris par son reflet dans une vitre qui lui apprenait qu’il avait encore grandi ou maigri il ne savait plus ils étaient tous maintenant dehors dans la cour du lycée et le soleil tapait dur quand ils traversaient la cour pas de casquette pas de chapeau rien que des cheveux coupés court très court et le grand portail s’ouvrait et ce n’était pas pour descendre la pente qui menait à l’internat on tournait à droite après le grand portail laissant le lycée technique sur la gauche chaque fois son petit cœur se mettait à battre la chamade dès qu’il était dehors et se sentait libre bien sûr il devait suivre le prof de gym qui avait formé les rangs cette fois-ci c’était différent il n’aurait su expliquer pourquoi c’était différent on allait faire du sport c’était pas comme les autres matières où on était enfermé dans une classe tandis qu’il faisait beau dehors et qu’il regardait dehors ce que la fenêtre lui laissait voir du dehors des fois rien qu’un bout de ciel et le soleil qui tapait toujours fort très fort et voulait entrer partout dehors il ne le sentait plus il était dehors avec le soleil dehors avec le ciel c’est tout ce qu’il aurait pu dire s’il avait pu dire ce qu’il ressentait et qu’un moment il n’avait plus peur qu’un moment il était seul les autres l’avaient laissé tranquille c’était le sport ils allaient se défouler autrement il aimera toujours être seul et le sport plus tard il fallait sauter en fosbury c’était quand il fallait sauter en fosbury qu’il ne se sentait plus seul qu’il ne se sentait plus libre que la peur le reprenait et quand il fallait courir le 100 mètres le 1 000 mètres c’était mieux même s’ils partaient tous en même temps parce qu’il se retrouvait vite seul à courir longtemps et il était libre une fois même il s’était senti encore plus libre c’est quand ils n’étaient pas entrer dans le stade pour courir ou pour sauter des fois même il y avait des barrières à sauter et il ne comprenait pas non plus tous ces obstacles qu’on mettait à leur liberté et le chrono c’était bizarre de se sentir oppressé ainsi par le temps c’étaient pas les murs du lycée c’étaient pas les murs de l’internat c’étaient même pas des murs et il sentait pourtant que le temps l’emprisonnait l’oppressait comme des murs il n’aurait pas pu s’expliquer ça non plus mais il le ressentait très fort au point qu’il aurait eu envie de crier qu’il était enfermé qu’on vienne le délivrer mais on aurait dit qu’il avait peur il n’en parlerait jamais à personne mais à qui il en aurait parlé il y avait que des petits durs avec lui qui parlaient jamais de leur peur et de leur manque de liberté mais à qui ils en auraient parlé dommage qu’ils lui tapaient dessus et qu’il fallait bien qu’il se défende et il se défendait comme il pouvait parce qu’il n’y avait personne non plus pour le défendre et des fois ils n’étaient pas les plus forts et des fois ils flanchaient et des fois il voyait qu’ils avaient peur eux aussi ce jour-là quand on les lâcha tous dans la nature mais la nature c’était Nouméa la ville mais c’était pas bien différent pour eux tant qu’ils étaient libres pour qu’ils courent dans les rues et reviennent au point de départ sans se perdre mais ils avaient oublié le chrono ils avaient oublié les murs le stade le saut en fosbury le 100 mètres le 1 000 mètres c’était 10 kilomètres avait dit le prof de gym mais ils avaient aussi oublié les 10 kilomètres et le prof de gym ils étaient enfin libres les internes du lycée et ces 10 kilomètres ce n’était pas 10 kilomètres ce n’était même pas 1 000 mètres même pas 100 mètres c’était la liberté ils avaient bien couru ils avaient couru à perdre haleine et ce n’était pas pour arriver les premiers c’est la liberté qui les faisait courir comme ça mieux que le chrono l’aurait fait ils couraient pour sentir le vent pour le soleil qui les brûlait sentir la brûlure du soleil c’est la liberté qui les brûlait qui les grisait et le souffle qu’ils perdaient qu’ils retrouvaient c’étaient les alizés quand les alizés soufflaient et quand l’alizé tombait tout ce qu’ils avait ressenti en brousse ils le ressentaient à Nouméa la ville mais c’étaient pas bien différent pour eux tant qu’ils étaient libres ils avaient longé le bord de mer écrasé le sable sous leurs foulées et le bitume chaud collait à leurs souliers on aurait dit des évadés et que jamais rien ni personnes ne pourraient les arrêter et la peur la peur aussi s’était évadée et leurs corps n’étaient plus ni trop petits ni trop maigres c’étaient celui de véritables athlètes au pas élastiques au gros poumons soufflant comme une forge d’ailleurs ils n’avaient plus de corps ils ne sentaient plus leurs corps ils s’étaient évadés aussi de leurs corps la douleur ils ne sentaient plus la douleur les coups ne leur auraient plus rien fait ils ne craignaient plus les coups les punitions les châtiments corporels la fatigue les privations les profs les surveillants les parents il n’y avait qu’une chose qu’ils éprouvaient ce jour-là de toutes leurs forces d’enfant de toute leur âme d’enfant c’était la liberté le prof avait compté le prof comptait tout le temps pour voir s’il lui en manquait un et il lui en manquait un mais le prof reformait les rangs il ne s’était rendu compte de rien personne ne s’était rendu compte de rien mais il en manquait un, l'évadé.

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