Il avait peur il
avait toujours eu peur il n’en parlait jamais à personne à qui il
en aurait parlé Il se retrouvait dans le vestiaire c’était un
enfant qui se déshabillait et qui n’aimait pas à se déshabiller
devant les autres enfants il ne les regardait même pas quand il se
déshabillait, sans quoi il aurait vu qu’ils n’étaient pas bien
plus gros que lui mais il se disait qu’en ne les regardant pas ils
ne le regarderaient pas à leur tour il n’était pas curieux de
savoir comment ils étaient faits il avait surtout peur qu’ils
voient comment lui était fait il se trouvait si maigre et respirait
mal ça se verrait mieux maintenant qu’il était torse nu qu’il
était maigre et qu’il respirait mal et il s’empressa de passer
un maillot dans lequel il nageait un maillot qui flottait autour de
son corps maigre comme un drapeau au vent ou des habits pendus à la
corde à linge et ses pieds étaient trop grands il s’empressait
aussi de les chausser même si les chaussures lui faisaient toujours
mal : il avait tellement honte d’avoir de grands pieds que là
non plus il ne disait rien à personne et à qui il l’aurait dit.
C’était l’heure
de sport deux heures en fait et ils s’étaient tous déshabillés
et rhabillés très vite en shorts et chaussures de sport et un
maillot de corps qui laissait voir ses longs bras tout maigres ce
qu’ils avaient pu pousser ses bras et ses jambes et ses pieds on
aurait dit beaucoup mais c’est parce qu’il était maigre parce
qu’il n’était pas grand non plus jamais il ne se regardait dans
une glace mais il lui arrivait d’être surpris par son reflet dans
une vitre qui lui apprenait qu’il avait encore grandi ou maigri il
ne savait plus ils étaient tous maintenant dehors dans la cour du
lycée et le soleil tapait dur quand ils traversaient la
cour pas de casquette pas de chapeau rien que des cheveux coupés
court très court et le grand portail s’ouvrait et ce n’était
pas pour descendre la pente qui menait à l’internat on tournait à
droite après le grand portail laissant le lycée technique sur la
gauche chaque fois son petit cœur se mettait à battre la chamade
dès qu’il était dehors et se sentait libre bien sûr il devait
suivre le prof de gym qui avait formé les rangs cette fois-ci
c’était différent il n’aurait su expliquer pourquoi c’était
différent on allait faire du sport c’était pas comme les autres
matières où on était enfermé dans une classe tandis qu’il
faisait beau dehors et qu’il regardait dehors ce que la fenêtre
lui laissait voir du dehors des fois rien qu’un bout de ciel et le
soleil qui tapait toujours fort très fort et voulait entrer partout
dehors il ne le sentait plus il était dehors avec le soleil dehors
avec le ciel c’est tout ce qu’il aurait pu dire s’il avait pu
dire ce qu’il ressentait et qu’un moment il n’avait plus peur
qu’un moment il était seul les autres l’avaient laissé
tranquille c’était le sport ils allaient se défouler autrement il
aimera toujours être seul et le sport plus tard il fallait sauter en
fosbury c’était quand il fallait sauter en fosbury qu’il ne se
sentait plus seul qu’il ne se sentait plus libre que la peur le
reprenait et quand il fallait courir le 100 mètres le
1 000 mètres c’était mieux même s’ils partaient tous
en même temps parce qu’il se retrouvait vite seul à courir
longtemps et il était libre une fois même il s’était senti
encore plus libre c’est quand ils n’étaient pas entrer dans le
stade pour courir ou pour sauter des fois même il y avait des
barrières à sauter et il ne comprenait pas non plus tous ces
obstacles qu’on mettait à leur liberté et le chrono c’était
bizarre de se sentir oppressé ainsi par le temps c’étaient pas
les murs du lycée c’étaient pas les murs de l’internat
c’étaient même pas des murs et il sentait pourtant que le temps
l’emprisonnait l’oppressait comme des murs il n’aurait pas pu
s’expliquer ça non plus mais il le ressentait très fort au point
qu’il aurait eu envie de crier qu’il était enfermé qu’on
vienne le délivrer mais on aurait dit qu’il avait peur il n’en
parlerait jamais à personne mais à qui il en aurait parlé il y
avait que des petits durs avec lui qui parlaient jamais de leur peur
et de leur manque de liberté mais à qui ils en auraient parlé
dommage qu’ils lui tapaient dessus et qu’il fallait bien qu’il
se défende et il se défendait comme il pouvait parce qu’il n’y
avait personne non plus pour le défendre et des fois ils n’étaient
pas les plus forts et des fois ils flanchaient et des fois il voyait
qu’ils avaient peur eux aussi ce jour-là quand on les lâcha tous
dans la nature mais la nature c’était Nouméa la ville mais
c’était pas bien différent pour eux tant qu’ils étaient libres
pour qu’ils courent dans les rues et reviennent au point de départ
sans se perdre mais ils avaient oublié le chrono ils avaient oublié
les murs le stade le saut en fosbury le 100 mètres le
1 000 mètres c’était 10 kilomètres avait dit le
prof de gym mais ils avaient aussi oublié les 10 kilomètres et
le prof de gym ils étaient enfin libres les internes du lycée et
ces 10 kilomètres ce n’était pas 10 kilomètres
ce n’était même pas 1 000 mètres même pas 100 mètres
c’était la liberté ils avaient bien couru ils avaient couru à
perdre haleine et ce n’était pas pour arriver les premiers c’est
la liberté qui les faisait courir comme ça mieux que le chrono
l’aurait fait ils couraient pour sentir le vent pour le soleil qui
les brûlait sentir la brûlure du soleil c’est la liberté qui les
brûlait qui les grisait et le souffle qu’ils perdaient qu’ils
retrouvaient c’étaient les alizés quand les alizés soufflaient
et quand l’alizé tombait tout ce qu’ils avait ressenti en
brousse ils le ressentaient à Nouméa la ville mais c’étaient pas
bien différent pour eux tant qu’ils étaient libres ils avaient
longé le bord de mer écrasé le sable sous leurs foulées et le
bitume chaud collait à leurs souliers on aurait dit des évadés et
que jamais rien ni personnes ne pourraient les arrêter et la peur la
peur aussi s’était évadée et leurs corps n’étaient plus ni
trop petits ni trop maigres c’étaient celui de véritables
athlètes au pas élastiques au gros poumons soufflant comme une
forge d’ailleurs ils n’avaient plus de corps ils ne sentaient
plus leurs corps ils s’étaient évadés aussi de leurs corps la
douleur ils ne sentaient plus la douleur les coups ne leur auraient
plus rien fait ils ne craignaient plus les coups les punitions les
châtiments corporels la fatigue les privations les profs les
surveillants les parents il n’y avait qu’une chose qu’ils
éprouvaient ce jour-là de toutes leurs forces d’enfant de toute
leur âme d’enfant c’était la liberté le prof avait compté le
prof comptait tout le temps pour voir s’il lui en manquait un et il
lui en manquait un mais le prof reformait les rangs il ne s’était
rendu compte de rien personne ne s’était rendu compte de rien mais
il en manquait un, l'évadé.
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