Il se disait
que les gens n'étaient ni gentils ni méchants et que si parfois il
les trouvait méchants c'est que parfois il avait la plus mauvaise
partie des gens et qu'il fallait qu'il se débrouille mieux, qu'il se
débrouille à avoir la meilleure partie des gens. Comme il repensait
à sa vie il trouvait qu'il s'était pas très bien débrouillé, et que
même, si elle était à refaire, il tacherait de mieux se débrouiller.
Mais qu'il ne pouvait pas en vouloir aux gens, c'est lui qui n'avait
pas su en tirer le meilleur parti. Il était néanmoins vrai, et cela
il avait pu le constater à de nombreuses reprises, que leur
méchanceté était plus prompte à s'exercer que leur gentillesse,
et qu'il fallait déployer des efforts d'ingénuité pour obtenir
d'eux un brin de gentillesse. C'est comme se disait t-il cette
expression : séparer le bon grain de l'ivraie, mais si vous le
faites en vrai, en vrai il reste d'un côté beaucoup d'ivraie et de
l'autre très peu de bon grain. Non! Il disait ça parce
qu'aujourd'hui il était en colère et qu'il avait envie de médire sur
les gens. D'ailleurs, comment pouvait t-il juger les gens, puisqu'il
n'avait jamais vécu que seul, à quoi il pourrait ajouter :
vécu bien que seul, car, pour tout dire, il n'avait pas trop mal vécu
jusque là, mais seul. La solitude n'était pas un mal en soi, il
fallait seulement l'apprivoiser comme une bête un peu sauvage, et
tandis que les gens qui n'étaient pas sauvages ne se laissaient pas
approcher si facilement la solitude elle oui se laissait approcher,
très vite elle vous entourait même d'une certaine chaleur et
sollicitude. On pouvait très bien opposer, selon lui, la solitude et
les gens, et il lui semblait que toute sa vie n'avait été qu'un
va-et-vient continuel entre la solitude et les gens avec une plus forte
propension à s'entourer de solitude que de gens, à préférer pour
ainsi dire la solitude aux gens. Après c'est une question
d'habitude : quand on est habitué aux gens on est mieux avec
les gens, quand on est habitué à la solitude on est mieux avec la
solitude, et lui il était mieux avec la solitude, c'était pas plus
compliqué que ça et trop tard pour changer, se disait t-il. En
avait t-il ne serait-ce que l'envie? Ce serait un peu comme ceux qui
arrivés à la fin de leur vie se mettent à penser à Dieu qu'il se
mette lui à penser aux gens. Une reconversion un peu tardive et peu
crédible. Il n'y avait cependant en lui aucune aversion profonde
pour les gens, seulement un peu de crainte comme un chat échaudé
craint l'eau froide, et il s'en tenait à une distance respectueuse
ou à cette distance de sécurité que doivent garder entre elles les voitures
qui se suivent à la queue leu leu si elles ne veulent pas se
rencontrer.
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