Il faut
sauver le soldat Ryan. Ce sont
les premiers mots qui lui vinrent à la bouche quand il vit de
l'autre côté de la chaussée David et qu'il changea donc en :
Il faut sauver le soldat David,
mais toujours sans rien dire et encore moins comprendre de pourquoi
ce titre de film lui revenait ainsi à l'esprit. Il y avait bien
longtemps qu'il n'avait pas vu David et c'est à peine s'il le
reconnut. Ce n'était plus le même David qui attendait son bus. Ce
n'était pas en tout cas le David qu'il avait vu bien des années
auparavant battre dans un combat héroïque le champion d'échecs du
Val de Marne. Pourtant il l'avait reconnu et s'il l'avait reconnu
c'est qu'il pouvait encore être sauvé, c'est qu'il y avait en lui
encore quelque chose de préservé, quelque chose à sauver, que le
temps ou il ne savait quelle circonstance du temps n'avait pas pu
atteindre. David dans un dernier sursaut, il ne savait dire si de vie
ou d'humanité, voulu franchir la route pour venir à lui, mais il
l'arrêta d'un geste, c'est lui qui allait allé vers David. L'avait
t-il senti si mal en point pour prendre les devants. David avait
toujours été un premier échiquier, et dans les parties
d'entraînement qu'ils avaient eu au club d'échecs c'est toujours
David qui avait eu l'initiative. Mais là David attendit qu'il vint à
lui et sembla difficilement se lever du banc près de l'arrêt bus où
il était assis. David comment dire, ça aussi c'était difficile à
dire : David sentait l'alcool. Il avait trouvé la force de lui
serrer la main et avait même ôter ses lunettes noires qu'il s'était
cependant empressé de remettre. Le son de sa voix pouvait bien
confirmer que c'était lui. Mais il parlait peu. Ça aussi c'était
David. Il se livrait peu, mais ce qu'il l'avait servi sur l'échiquier
l'avait peut-être desservi dans la vie. Et les questions directes
qu'il lui adressait, peut être trop directes, n'entraînaient pas plus de réponses de sa part
que sur l'échiquier, en tout cas pas les réponses escomptées,
David ne dévoilait jamais son jeu. Il écoutait. Il observait
derrière ses lunettes noires, sans rien dire. Et les questions qu'il
lui posait ne semblaient pas plus atteindre leur cible que les
attaques qu'il lui avaient autrefois et en vain portées sur
l'échiquier. Il apprit seulement que David ne jouait plus en équipe
depuis quatre ans et qu'on ne pouvait pas non plus le voir au club
d'échecs. Pourquoi il avait disparu et quand il allait revenir,
c'était comme une équation à deux inconnues. Il regardait David
qui faisait deux têtes de plus que lui et se rappelait qu'il
arrivait souvent au club d'échecs encore chaussé de ses rollers,
alors qu'il ne semblait plus maintenant bien tenir sur ses deux
jambes. Mais toujours cette gentillesse qui faisait barrage à tous
propos blessants. Ne l'était t-il pas assez, blessé ? Comme il
aurait aimé le prendre et le ramener sur l'échiquier comme on
ramène un blessé sur la civière pour le soigner. Il n'en doutait
pas : le soldat David reprendrait vie si on le ramenait sur
l'échiquier. Mais c'est le bus qui arrivait et David le premier
échiquier de l'équipe lui serra, bien que faiblement et une
dernière fois, la main, tandis qu'un faible sourire, qui n'était
plus un sourire vainqueur, s'affichait sur son visage et qu'il
n'aurait su dire si son regard était triste ou joyeux, quoiqu'il
n'était pas loin de penser … mais qu'est-ce que cela pouvait bien
foutre ce qu'il pensait lui ? A quoi pouvait bien penser le
soldat David quand il ne pensait pas aux échecs ? Décidément il ne le saurait jamais, déjà
David avait disparu dans le bus.
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