Tu vas mourir demain

C'est comme ça qu'il faut vivre en ce disant non pas: tu vas vivre, ces exhortations à vivre ont toujours été insuffisantes dans mon cas, mais tu vas mourir demain; et c'est ce que je me suis dit aujourd'hui en me levant. Je me suis alors demandé ce que j'aimerais faire pour la dernière fois et l'amour vint naturellement en tête.

Mais d'abord il faut dire l'importance de ce rappel incessant: tu vas mourir demain. C'est que l'on vit comme si l'on était éternel. Erreur dans laquelle on tombe tous mais sans quoi on ne pourrait pas épargner pour une voiture, pour une maison; attendre les vacances, la retraite; travailler. Vivre enfin ce que l'on vit. C'est-à-dire sans se dire: tu vas mourir demain.

C'est ce que je me suis dit ce matin en me levant: tu vas mourir demain et faire l'amour m'est venu tout naturellement en tête. J'ai alors compris que cette injonction: tu vas faire l'amour, c'était pour oublier cette autre injonction: tu vas mourir demain. Après on continue à vivre comme si l'on était immortel et on l'est d'une certaine façon: si la femme met au monde ...

Et si elle ne met pas au monde ... alors cette autre injonction: tu vas mourir demain qui conduit naturellement à tu vas faire l'amour doit se répéter non pas jusqu'à ce que mort s'ensuive, mais jusqu'à ce que la femme de l'homme mette au monde et c'est comme ça que l'amour triomphe de la mort.

Pas la vie, non pas: tu vas vivre. Ces exhortations à vivre ont toujours été insuffisantes dans mon cas. Elles m'ont conduites à acheter une voiture, pas une maison; à attendre les vacances, pas ma petite retraite; à travailler, pas assez. Voilà pourquoi je me suis dit aujourd'hui en me levant: tu vas mourir demain.

Il a neigé pendant la nuit. Une nappe blanche et gelée recouvre le sol. Le ciel est mauve, violet. Se dressent la silhouette encore noire, bientôt grise, des arbres sans feuilles, sans fruits. Peut-être que ce sont eux qui me font dire aujourd'hui en me levant: tu vas mourir demain ... sans feuilles, sans fruits.