Vous dites les Kanak. Je dis Cimutru Joseph. Je dis Nakédé Pierre. Je dis Cilane Noël. Je dis Avocat. Je dis Abel Wadra. Je dis le fils d’Abel Wadra. Qu’il me pardonne si j’ai oublié son nom. Je dis la femme d’Abel Wadra. Qu’elle me pardonne si j’ai oublié son nom. Je dis Wayéméné Hélène. Je dis Rosina. Je dis le frère d’Avocat. Qu’il me pardonne si j’ai oublié son nom. Qu’ils me pardonnent tous ceux dont j’ignore le nom de les appeler Kanak.
Je les ai pourtant appelés Kanak. Qu’ils me pardonnent. Je les ai pourtant appelés Kanak quand de retour de Nouvelle-Calédonie, quand de retour en France, au lycée de Taverny dans le Val-d’Oise, en région parisienne, il m’a été demandé de faire un exposé sur la Nouvelle-Calédonie. Je me suis alors documenté. J’ai alors consulté les statistiques et pris connaissance des différentes populations, voire ethnies, qui peuplaient la Nouvelle-Calédonie.
C’est comme ça que j’ai commencé a oublier leurs noms et prénoms et commencé à les appeler Kanak. Qu’ils me pardonnent. Ce n’est pas que canaque soit une insulte. Mais ils n’ont jamais été pour moi des Kanak sinon mes camarades d’école, puis des internes comme moi au lycée Lapérouse à Nouméa ou à Rivière-Salée, un autre internat, transbahutés comme moi d’internat en internat et venant des îles Loyauté ou de la Grande Terre, de la brousse, comme moi et mon frère Bernard.
Nous n’étions pas les seuls d’ailleurs. Il y avait Tchan. Qu’il me pardonne. J’ai parlé de la communauté asiatique en Nouvelle-Calédonie comme si j’avais déjà oublié le nom de Tchan qui courait le 100 mètres aussi vite que Cilane Noël. Et toi aussi, mon ennemi juré, comment encore tu t’appelais ? Ah ! Oui, Leroy. Je n’ai pas dit ton nom, mais j’ai si mal parlé des caldoches qui n’aimaient pas les zoreils, des Calédoniens blancs qui n’aimaient pas les Blancs de métropole, peut-être parce que toi tu ne m’aimais pas. Quand nous n’étions que des enfants, des enfants de la Nouvelle-Calédonie.
C’est aussi oublier les frères Prigent qui m’ont fait connaître la fondue savoyarde en Nouvelle-Calédonie, la radio locale (L’oreille en coin) à Nouméa et une tribu dans un coin reculé de la brousse sur la côte est, une marche de plusieurs jours, à se faire un passage à coups de sabre d’abattis. Non ! Je ne les appellerai jamais des Caldoches, mais les frères Prigent, des gosses de mon âge, de mon âge d’alors, quand nous n’étions que des enfants de la Nouvelle-Calédonie.
Et il y avait aussi les zoreils comme mon frère et moi et cet autre enfant d’enseignant qui m’emmena un jour chez lui sur la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie. J’ai oublié son nom ; qu’il me pardonne si je l’ai appelé zoreil dans mon exposé sur la Nouvelle-Calédonie, et que Grosse Tête, celui que l’on appelait Grosse Tête, me pardonne de l’appeler Grosse Tête, car j’ai oublié son nom, pas qu’il était fort en maths ; lui aussi est pour moi un enfant de la Nouvelle-Calédonie, pas un zoreil.
J’ai appris dernièrement l’existence de la maison de la Nouvelle-Calédonie ici, à Paris. Pardonnez-moi si j’ai bien ri. Pour nous, les enfants de la Nouvelle-Calédonie qui le mercredi, jour de sortie, errions dans les rues de Nouméa, notre maison était une île : la Nouvelle-Calédonie.
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