Cela c'est passé dans une rue de Saint-Maur bordée de petites maisons entourées de petits jardins dont, jadis, je connaissais le nom, mais maintenant que je connais bien les rues de Saint-Maur je l'ai oublié. C'est sans importance, ça aurait pu se passer n'importe où, dans n'importe quelle rue de n'importe quelle ville portant n'importe quel nom, pourvu qu'il y ait de petites maisons avec leurs petits jardins et de petits enfants qui, le soir, après l'école, rentrent chez eux. C'était dans une de ces rues peu fréquentées où il ne se passe à peu près rien et c'est à peu près rien ce que j'ai à raconter.
C'est pourquoi j'ai hésité si longtemps à le faire, en tout cas par écrit. Le facteur vous le dira, si vous le croisez comme je le croisais le lendemain matin dans une autre rue de Saint-Maur bordée de petites maisons entourées de leurs petits jardins dont, jadis, je connaissais le nom, mais maintenant que je connais bien les rues de Saint-Maur ... Il fit les frais de mon histoire. Mais ce n'est pas mon histoire et d'ailleurs ce n'est même pas une histoire. Les enfants ne racontent pas d'histoire, on leur raconte des histoires, mais, c'est bien connu: la vérité sort de la bouche des enfants et c'est aussi ce que me dit le facteur après que je lui eu raconté ce que je les avais entendus dire.
Le facteur était descendu de son vélo devant un magnifique portail en fer forgé. J'en profitai. Après le bonjour du facteur c'est le sourire des îles qui vint frapper à ma porte. Entre parenthèse, c'est à cause de ce sourire, les gens extrapolent, que l'on dit des filles des îles qu'elles sont faciles, qu'elles sont faciles parce qu'elles ont le sourire facile. Tout ça peut-être parce que le sourire ouvre bien des portes comme le facteur, une fille des îles, ouvrit les portes de mon récit.
Pas plus tard qu'hier, lui racontai-je, dans une de ces rues de Saint-Maur qu'elle connaissait aussi bien que moi, avec ces petites maisons entourées de leurs petits jardins, il y avait trois petits enfants: deux petits garçons et une petite fille. L'un des deux petits garçons dit à l'autre:
- Où est ta maison?
- Ce n'est pas une maison, c'est un appartement.
Celui des deux petits garçons qui avait posé la question marchait très vite devant, la petite fille à ses côtés avait du mal à le suivre. Lui, c'est à peine s'il prit le temps de se retourner pour lâcher un ouah! ou un bah! que l'on interprétera comme l'on veut, mais que sur le moment je trouvai un peu crâne. Puis, sans s'arrêter, mais presque en courant dit à l'autre:
- Viens, ma maison est là-bas, sur la gauche, je vais te la montrer.
Il lui montrait le bout de la rue, c'est tout ce que je voyais alors; le bout de la rue sans nom et la petite fille qui avait encore plus de mal à le suivre, tandis que l'autre derrière ne se pressait pas non plus pour les rejoindre. Je hâtais le pas, moi, pour la voir cette maison. Mais, quand il arriva au bout de la rue et tourna à gauche, il lança à l'autre:
- Tu as vu ce portail pourri, c'est là que j'habite.
J'avoue avoir été très surpris, moi qui m'attendait à ce qu'il montre crânement un beau portail en fer forgé derrière lequel s'abriterait une maison de maître comme Saint-Maur en compte tant, sinon, au moins, une de ces petites maisons entourées de leurs petits jardins. Mais je ne vis rien, pas même le portail pourri. J'entendis seulement la petite fille à bout de souffle crier:
- Papa t'as dit qu'il ne faut pas dire ça.
- Tu as vu ce portail pourri, c'est là que j'habite.
Répétait-t'il de plus belle, comme tout excité, à l'autre qui arrivait sans se presser et peut-être aussi sans rien voir de plus que moi, que ces petites maisons entourées de leurs petits jardins, que la rue sans nom peu fréquentée où il ne se passait à peu près rien ce jour-là comme les autre jours, mais où il fallait bien dire quelque chose comme les autres jours.
Le facteur sourit en remontant sur son vélo. Merci pour l'histoire, ce n'était pas grand chose mais c'était quelque chose, pas de quoi extrapoler, comme son sourire, mais de quoi sourire aussi, un rien amusé par l'histoire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire