Il lui semblait qu'il n'arriverait jamais à entrer dans le monde des adultes, que l'accès lui en était interdit, que le sens de leurs conversations lui arriverait toujours brouillé, comme quand ils les entendait caché dans les escaliers qui menaient aux chambres. Et leur sexualité avait aussi pour lui quelque chose de caché ou d'ouvertement, d'outrageusement, de grossièrement déclaré, ce qui pour lui revenait au même. Cette sexualité qui lui tenait ses portes fermées et qu'au fond il ne pouvait pas vraiment regretter. Vulgairement parlant: il n'avait pas été déniaisé. Oui, c'était bien là le langage des adultes et ce qui lui serait dit s'il confessait à son âge, déjà bien avancé, son manque total d'expériences en la matière.
Ah, s'ils savaient combien il se réjouissait d'échapper à ce monde de brutes, aux étreintes sauvages, aux jouissances hystériques, à leurs orgasmiques et lentes agonies, à leurs morts subites. Il avouerait honteusement, piteusement, s'il le fallait, et non sans un soupçon de provocation, qu'il préférait à ce monde de brutalités viriles la douceur de l'onanisme, ce mot si doux à prononcer, comme une caresse sur le sexe, qui le rattachait encore à l'adolescence, à l'amour sublimé, effleuré, caressé. Pas de ces fleurs que vous cueillez et aussitôt cueillies fanées, mais de ces fleurs dont on n'ose cueillir la beauté qui se respire comme l'air alentour, doux et discrètement, secrètement, parfumé. Qu'il respire, qu'il respire avec volupté et chasteté, tandis que vous brandissez fièrement votre bouquet avant de le jeter. Non, il n'aimait pas leur amour, il n'aimait pas la manière dont ils en parlaient, il n'aimerait certainement pas la manière dont ils le faisaient.
Alors qu'il enjolivait ainsi l'amour vint à passer une de ses jolies créatures qu'il n'est pas si souvent donné de voir et attire immanquablement le regard du plus chaste et romantique des hommes. Il ne put donc s'empêcher de remarquer cette jolie créature qui se penchait un peu trop compte tenu de la longueur de sa jupe et de s'exclamer:
- S a a a l o p e.
La ... l'entendit et le traita de grossier personnage, ignorant tout, bien entendu, de ses tendres et délicates pensées qui sont, il faut le dire, l'apanage de l'impubère.
- S a a a l o p e
Répéta t'il, fier, comme le sale gosse qu'il était, d'avoir enfin ses entrées dans le monde des adultes.
- Salope
Dit-il enfin d'une traite, et tout excité, et complètement rassuré: c'était un homme maintenant, un vrai.
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