Parfois je me dis que si mon individu pouvait écrire sa vie telle qu'il l'a vit ce serait alors une vie si singulière pour aussi banale qu'elle puisse paraître, et où à la fois tout le monde s'y reconnaîtrait, et ce serait sa vraisemblance, et en diffèrerait, et ce serait sa différence, l'un dans l'autre faisant que personne ne pourrait jamais plus considérer sa propre vie comme nulle et non avenue.
Mais c'est aussi que toute cette profusion d'impressions qui y sont rendues aussi que toutes ces réflexions légères parfois, profondes d'autres fois, qui traversent toute vie en passant inaperçues seraient là toutes ou presque retenues quand cela n'est même pas imaginable dans la plus pauvre des vies qui soit, alors qu'elle est suffisamment riche pour qu'on n'en retienne pas tout.
C'est que cette vie que l'individu est capable de vivre c'est sans savoir ce qu'il vit, comme souvent celui qui est heureux l'est sans savoir qu'il l'est, heureux. Qui contemple un nuage et s'en réjouit qu'il contemple sa vie et il s'en réjouira d'autant plus que cette nébuleuse à lui se montrera et prendra des couleurs chatoyantes et vives ou sombres et grises, mais jamais à lui indifférentes (comme l'est à nous la nature).
A t-il une peine, un chagrin, il n'y a rien de plus admirable qu'une peine, qu'un chagrin; c'est un état maladif certes, et l'on s'étonne de la complaisance qu'on y trouve, complaisance reprochable mais agréable au fond sans quoi on ne la vivrait pas quand il y a de par le monde beaucoup d'esprits chagrins, trop sans doute, mais que d'élégies qui sont autant d'énergies tendres, sans compter que cela creuse l'être, et c'est une faim d'êtres que la sienne.
On aime plus par défaut que par excès: au vantards de faire étalage de leurs conquêtes mais celui qui connait le désamour sait mieux ce que c'est que l'amour, comme on sent mieux en nous ce qui souffre que ce qui va bien on sent mieux son cœur quand il souffre et la souffrance est ce qui creuse l'être et lui donne cette faim qui entre toutes les faims est la plus humaine: la faim d'êtres.
C'est vrai qu'on aime tellement parfois non pas un être mais un état qu'on ne voudrait pas en changer pour un autre état non plus que pour un autre être, mais ce n'est pas quand on est bien dans un état ou dans un autre mais dans le mouvement, (le mouvement c'est la vie), que l'on connait la grâce qui serait rien de plus mais aussi rien de moins que le bonheur , et le bonheur un état de grâce.
Certes on parle d'état de grâce mais quand on parle de quelqu'un de gracieux on le voit se mouvoir ou parler, vivant en état de grâce, vivre en état de grâce serait alors vivre en mouvement, que ce mouvement soit oratoire ou corporel; enfin de l'âme ou du corps pour autant qu'on les considère séparément, ce que démentirait l'état de grâce où ils se confondent.
Ne serais-je pas en train de confondre à mon tour la grâce et être gracieux? Oui, mais sciemment et parce que ce que l'on confond c'est celui qui fait le gracieux à celui qui est en état de grâce et par conséquent est gracieux. J'aurais confondu aussi la grâce avec le bonheur. Oui, mais sciemment: ne parle t-on pas des bienheureux? Eh bien, il arrive à mon individu d'être heureux sans pouvoir rattacher à rien son bonheur.
C'est comme cet amour qui serait plus amour par défaut qu'amour par excès, c'est que l'amour ne serait pas amour d'un être mais amour de la vie; et comme un lien qui se dénoue ce qui l'attachait se détache, il retrouve alors sa liberté de mouvement, qui est grâce, qui est amour de la vie, qui est mouvement, mais c'est aussi un état de grâce en cela que ça ne dure malheureusement pas pour l'individu qui s'attache et veut se fixer.
CITATION
Sur France Culture Anaëlle qui a dix ans dit: "quand je suis triste je me mets dans un coin et je pense à la forêt, je vois des arbres, des fleurs, ça me remonte le moral". La tristesse ouvrirait à l'être comme à la nature. Comment ne pas penser aux Rêveries du promeneur solitaire de JJ. Rousseau
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