dimanche 8 juin 2025

Les temps morts


Il y aurait quelque chose de cruel non pas dans la mort mais dans l'approche de la mort, c'est qu'elle oblige à l'attente de son événement autant la personne destinée à elle que les personnes qui aussi par leur destinée sont attachées à cette personne.

Toutes se retrouvent malgré elles plongés dans l'attente de cet événement que tout le monde pourtant craint plus qu'il ne le souhaite ni pour lui-même ni pour qui il aime autant que lui-même sinon plus que lui-même, et je parle des morts et de leurs proches.

Le temps de l'attente, parce qu'il ne reste plus rien à faire ni a espérer, est toujours pour le vivant le temps le plus difficile à vivre et aussi, et certainement pour ce à quoi il est attaché, considéré comme un temps mort.

Si nous nous mettions maintenant à considérer une société non pas quantitativement mais qualitativement, et non pas par son étendue, non pas par le nombre et dans l'espace mais dans le temps, on dirait que celle qui se voit envahie par le temps mort de l'attente n'est pas très vivante.

Il est plus facile de considérer il est vrai la cruauté comme le fait de la présence agissante et puissante que de l'absence inactive et inopérante ou impuissante, il n'empêche que ce serait celle qui s'opposerait le plus à l'être vivant en ce qu'il a de vivant ou de plus vivant.

Ce qui poserait problème ne serait pas tant la mort, on s'y fait, mais le temps mort, on ne s'y fait jamais, parce que le temps mort on a à le vivre tandis que la mort on n'a pas à la vivre, on est mort. Or, il semblerait que la société ne se pose pas la question du temps mort.

A croire qu'elle n'est pas vivante la société, que seul l'individu qui est vivant en souffre de l'attente, parce que ces temps morts se produisent de son vivant et de façon de plus en plus fréquente et prolongée.

Il y a cependant en eux une cruauté indéniable, et l'on voit à quoi ils renvoient, mais ce que l'on est prêt à supporter comme attente pour nos mourants qu'on accompagne c'est afin que la mort leur soit moins cruelle, quand notre souffrance ne diminue en rien celle de la file d'attente.

On est doublement patient chez le médecin ou dentiste ou autres spécialistes, prodiguant cette même patience qu' on a au supermarché ou au spectacle ou chez le notaire, ou parfois pour satisfaire un besoin naturel: boire, manger, dormir … tous contrariés par l'attente.

Meubler l'attente serait non pas rendre vivants mais moins mortels les temps morts, qu'ils ne nous tuent pas à petits feux ou nous rappellent moins cet instant crucial pour ne pas dire mortel qui saura aussi mettre fin à toute attente, à tous ces temps morts. 


CITATION

Si pour la société le temps est une notion abstraite pour Henri Bergson le philosophe il en est autrement: " Quand on veut préparer un verre d'eau sucré force est bien d'attendre que le sucre fonde. Cette nécessité d'attendre est le fait significatif. Elle exprime que, si l'on peut découper dans l'univers des systèmes pour lesquels le temps n'est qu'une abstraction, une relation, un nombre, l'univers lui-même est autre chose". La Pensée et le Mouvant. Où s'oppose temps et "durée pure" qui est le temps de l'expérience et du vécu.

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