jeudi 12 juin 2025

L'écrit


"On n'écrit pas pour être approuvé toujours et sans résistance: d'accord. Mais on n'écrit pas non plus pour heurter et irriter ceux qui liront, ou, en d'autres termes, pour conduire un directeur de journal à la faillite. Il s'agit de se tenir dans l'entre-deux; de ménager un peu; de heurter un peu; et en somme de se faire une liberté dans les entraves mêmes …"

Voilà ce que je lisais dans les Propos d'Alain et que je n'aurais pu entendre à l'âge de vingt ans, mais hier encore j'écrivais moi-même sur cette défiance qu'il fallait avoir contre tout ce qui était exprimé avec force, c'est-à-dire avec radicalité, pour l'autorité naturelle que cela pouvait avoir sur nous.

D'où il faudrait être à même d'apprécier "cet entre-deux", "ce ménager un peu", "ce heurter un peu" d'Alain qui n'est pas non plus sans nous faire réfléchir sur la liberté de la presse si contestée aujourd'hui par le pouvoir de la finance comme elle l'était d'ailleurs déjà du temps d'Alain puisqu'il s'en exprimait ainsi, c'est-à-dire de façon plus pondérée ou réfléchie que l'opinion commune sur le pouvoir de l'argent.

On conçoit pourtant plus facilement qu'il faille régler sa conversation en société, ses dires, que ses écrits dans les journaux et les livres qui sont pourtant les journaux et les livres de la société, sa presse, ses maisons d'éditions, où intérêts financiers et intérêts idéologiques se donnent le change.

C'est qu'on voudrait pouvoir écrire plus qu'on ne peut dire et c'est en effet ce que le temps long de l'écriture comme de la lecture autorise, des propos qui ne pourraient pas être tenus encore moins reçus dans l'immédiateté de l'oralité le seront peut-être là où la réflexion à le temps de se faire.

C'est là-dessus qu'il faut miser et les financiers aussi l'autoriser, et ce qui n'est pas radical, abrupt, est aussi ce qui ne brutalise pas. Et pourquoi le lecteur se laisserait-il brutaliser, et s'il se laisse brutaliser c'est encore que la force fait autorité sur lui, et non pas qu'elle fasse appel à son intelligence.

Un de mes amis ne parle jamais politique avec moi tandis qu'un autre le fait volontiers. C'est que le commun des mortels s'emportent volontiers quand il parle politique, en quoi le premier aurait raison de s'abstenir. Mais le second adoucit tellement ses opinions que bien qu'elles diffèrent des miennes elles deviennent recevables, c'est ainsi qu'il voudrait intelligemment m'en faire changer.

Mais j'en reviens à cette oralité tant vantée. A l'université où l'histoire des contes nous était conté il était aussi fait référence à cet âge d'or de l'oralité, celle des conteurs. Tout cela bien entendu faisait l'objet de thèses et de doctorats qui étaient tous des écrits, certes tous ne tarissaient pas d'éloges envers l'oralité.

Mais c'était encore oublier l'immense avantage de l'écrit sur l'oralité qui est d'exprimer ce qui ne saurait être entendu mais peut être lu à tête reposé et dans l'intimité qui est celle de la pensée quand on ne pense pas toujours à tout ce qu'on dit.

Quand on ne pense pas toujours à tout ce qu'on dit on a au moins le temps de le penser un peu plus par écrit, par cela même de la supériorité du temps long sur le temps court, parce qu'il est celui de la réflexion où par conséquent les réflexions abruptes sont moins de mise.

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