Il avait trop longtemps cru que l'homme tenait par lui-même et de lui-même parce que trop longtemps il n'avait pas vu tous ces petits fils invisibles qui les liaient les uns aux autres et sans lesquels ils ne pouvaient tenir debout tout seul, de sorte que quand ils se mouvaient ils devaient chercher l'origine de ce mouvement non pas en eux-mêmes mais hors d'eux-mêmes, et quand ils tombaient ne pas trop s'accuser de cette chute car d'autres y auraient contribuée. Jamais il ne croirait plus s'adresser à une seule personne à la fois et ne pourrait attendre d'elle une réponse qui ne fut que d'elle. Réviser ses opinions sur autrui à l'aune de cette mesure nouvelle est ce qui lui restait à faire. Mais il n'aimait pas non plus cette notion trop vague et trop rebattue du milieu social et de la circonstance, car il lui semblait plutôt que l'homme échappait justement par là au milieu social comme à la circonstance, qu'il n'était non plus la somme de rien mais de tout un nombre d'opérations où il existait aussi la soustraction, la division et la multiplication, tant rien n'avait pour lui ni pour personne la même importance et n'arriverait à résoudre cet inextricable nœud de liens dans lequel il se trouverait empêtré et cherchant à s'en défaire s'empêtrerait davantage.
Tous ces êtres lui apparaissaient donc non plus mus par eux-mêmes mais par tous ces petits fils invisibles qui les lieraient les uns aux autres de sorte que quand certains de ces fils invisibles pouvaient leur faire défaut cela créait chez eux un certain déséquilibre cette fois-ci visible de tous ceux qui s'en écarteraient visiblement aussi et pour ne pas être entraîné dans la chute vue alors par tous comme inévitable. Le lien qui pouvait être tenu par le simple fait qu'il les tenait et quand il les tenait comme un lien de solidarité ne pouvait pas quand il ne les tenait pas être tenu comme un lien de solidarité puisqu'il faisait alors que la solidarité ne joua pas, c'est pourquoi lui se jouait des liens qui se jouaient d'eux mais ne les tenaient pas solidaires comme ils pouvaient l'entendre ou le prétendre. Ce truc du lien, de dire qu'il faut du lien, le faisait pour tout dire bien marrer à lui qui savait combien les liens pouvaient les faire gesticuler comme des pantins désarticulés quand ça se mettait à tirer dans tous les sens et qu'ils se tapaient dessus les uns sur les autres sans plus savoir qui avait commencé et c'était bien là la preuve que la cause c'étaient les liens, les liens invisibles mais tenaces qui les tenaient tous inextricablement liés, et à leur corps défendant.
Lui il voudrait être délié si c'est tous ces liens qui les rendent si méchants. Et c'est un délié, qu'on l'appelle donc un délié, car il n'a pas besoin de tous ces liens pour tenir debout ni ce sont tous ces liens qui font à ses pieds battre la semelle ni à son cœur battre la chamade. C'est un délié et c'est pourquoi l'on croit toujours qu'il va tomber et s'en écarte mais il ne tombe jamais car il n'a pas besoin lui de tous ces liens pour tenir, lui qui ne tient à rien, entendez par là à aucun lien ni par aucun sinon par lui-même. Parfois il s'en étonne. Un temps il s'était même rendu à leur accusation d'égoïste, car un égoïste n'est-il pas quelqu'un qui ne vit que pour lui-même. Ou bien s'était-il dit que Dieu logeait en son sein? Dieu ou le diable? Mais plutôt qu'il venait du néant et retournerait au néant. Et quel lien y avait-il de là où il venait? Aucun. Vous pouvez y jeter tous vos liens. Aucun n'y tient. Ni il ne tient à aucun et par aucun. L'absence de tous liens voilà ce qui vous rend bon contrairement à l'ordinaire qui vous tient et n'ai fait que de quelques liens, ceux que vous connaissez et parce que vous les connaissez vous les aimez, ceux que vous ignorez et parce que vous les ignorez vous ne les aimez pas. Et lui il n'aime pas votre amour qui n'est fait que de quelques liens. Pas davantage votre solidarité qui n'est elle aussi faite que de quelques liens, et comment vous dites encore: il faut créer du lien. Non! Plutôt délier, plutôt délier tous ces nœuds que vous avez dans la tête, plutôt pas de liens si c'est pour tomber les uns sur les autres, si c'est pour se tomber dessus comme on dit à bras raccourcis, mais c'est aussi l'esprit que vous avez de raccourci par tous ces liens.
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