Sans avoir failli perdre la vie on n’a bien pu connaître des
moments où notre part d’existence s’est trouvée réduite comme une peau de chagrin.
On n’a pu alors être saisi d’une très forte angoisse existentielle qui n’est
pas, encore une fois, le fait que l’on n’est
craint pour sa vie sinon motivée par l’obscure prise de conscience de la part insignifiante qu’elle représente. L’image qui me vient à l’esprit est celle d’un gâteau dont
certains en constitueraient une petite voire toute petite part, tandis que
d’autres en seraient une part plus avantageuse, c’est-à-dire dont ils tireraient
un sentiment d’existence plus grand et donc proportionnel à cette part de
gâteau. Qui s’en nourrit prend des forces, gagne une certaine confiance en lui,
contracte un certaine joie de vivre. Quand la part qui nous est dévolue est
plus maigre tout cela peut venir à manquer. Il faut savoir que la part
d’existence qui nous est allouée n’a rien à voir avec le fait d’être seul ou
entouré de gens. Qui prend les transports en commun se voit au milieu d’une
multitude de voyageurs comme lui. La question qui se pose alors est que
sont-ils pour lui et qu’est-il pour eux ? Quelle est la part d’existence
de chacun ? Il m’est arrivé de regarder leurs reflets dans la vitre et de
me dire qu’ils n’étaient que cela pour moi, comme de m’y voir aussi et de me
dire que je n’étais que cela pour eux : l’image démultipliée de l’humain
mon semblable dans le miroir où l’on est seul à se voir, à connaître son
existence, celle de l’autre on l’ignore, il n’a pas part dans notre existence,
nous n’avons pas part dans son existence. Entendez moi bien, ce n’est pas le
sentiment de la fourmi dans la fourmilière que l’on ressent mais de parts
d’existences réduites à rien. Voilà ce qui peut naître d’un mode de vie.
Inversement. Depuis que votre père est mort vous ne cessez de penser à lui. Sa
part d’existence a augmentée. Un ami vous dit qu’il a oublié ce que vous lui aviez
dit. Comment il s’en rappellerait. Tant de choses l’occupent qui n’est pas
vous. Il a son existence. Vous avez la vôtre. Certes. Mais, comme dit
précédemment, votre part d’existence n’est pas votre existence sinon celle qui
vous est allouée. De même, vous n’êtes pas tant redevable à vos parents de
votre existence sinon de la part d’existence qu’ils vous ont donnée ou accordée.
Vous pouvez ainsi ne rien leur devoir comme tout leur devoir alors même qu’ils
ne seraient pas vos géniteurs. Quelqu’un vous appelle. Il a pensé à vous. Il
vous redonne des forces, confiance en vous, une certaine joie de vivre que vous
aviez perdu. Il n’a rien dit de spécial. Il n’aurait pu faire que souffler. Il
vous a comme insufflé une part d’existence. Voilà ce qu’il a fait en réalité.
Peu importe la teneur des propos échangés. Néanmoins tout le monde n’est pas
détenteur de votre part d’existence. Un inconnu n’aurait pu en faire autant. De
qui est détenteur de votre part d’existence vous êtes détenteur de sa part
d’existence. C’est en quoi votre part d’existence ne vous est pas étrangère.
Ainsi ceux qui sont en demande de part d’existence accordent la leur trop
facilement, sans trop d’exigence, se rendant vulnérables. Ce n’est pas, encore
une fois (la dernière), le fait qu’ils donnent à n’importe qui sur eux le droit
de vie ou de mort mais de réduire leur part d’existence déjà si mince à néant.
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