Des policiers dans un fourgon de police, certains lisent le
journal, d’autres taillent la bavette, d’autres encore cassent une graine, rien
de plus de normal. Comme qu’il y aient plusieurs fourgons les uns derrières les
autres qui s’acheminent vers le même endroit. Ils pourraient aller vers les
lieux d’une manifestation, ils vont vers les lieux d’une rafle. Tout cela comme
on le voit est vécu de façon tout à fait normale, ne semble pas échapper à la
normalité. Ils sont même là pour faire appliquer la norme, que tout entre dans
la norme, et ce sera faire entrer tous les juifs d’un quartier dans des bus
pour une destination que le film ne donne pas. Ce que le film rend bien c’est
cette norme et son application qui effraie un peu certes par son caractère
soudain et sa manifestation brutale mais comme elle est revêtu de ce caractère
qui lui est propre : celui de la norme et de son application on s’y
soumet, on ne veut pas y transgresser. Ainsi les porteurs de l’étoile jaune,
une autre norme en vigueur, ont pour la plupart préparés leurs valises et
attendent comme on leur a dit qu’on vienne les chercher. On voit d’un côté
comme de l’autre une certaine inconscience comme résignation au sort qui lui
est dévolu : ceux qui appliquent la norme comme ceux qui s’y soumettent.
Peu nombreux sont en effet ceux d’un côté comme de l’autre qui sentent ce
glissement vers l’anormal, le monstrueux, parce qu’il s’effectue justement au
sein de la norme en vigueur et ne sera vu ainsi qu’a posteriori, locution
latine signifiant « en partant de ce qui vient après » en se fondant
sur les faits, or les faits sont justes en train de se commettre ; peu
nombreux sont en effet aussi ceux qui d’un côté comme de l’autre en connaissent
ou plutôt en suspectent, sentent, pressentent, les tenants et aboutissants.
Seuls ceux qui ont du cœur et non pas une morale ou des principes, tout cela
fait partie de la norme, seuls je répète ceux qui ont du cœur, et il semble
qu’ils soient ou aient été peu nombreux, sentent l’anormalité, la monstruosité
de ce qui est en train de se commettre. Alors un policier chargé de la réaliser
(un pas deux, pas trois, pas quatre…) a glissé un mot sous la porte d’un
appartement pour que ses occupants prévenus de la rafle imminente s’y soustrait.
Ils n’en feront rien. Une juive (une pas deux, pas trois, pas quatre…) finira
par accepter que l’étudiant anarchiste (c’est sous ces traits qu’on a voulu
présenter un héros qui pour l’heure n’est qu’un anonyme et le restera) la
soustrait à sa famille et au quartier où elle est née, aussi à son travail, et
c’est tout cela qu’il lui semble anormal, monstrueux de quitter, d’avoir à
quitter, plus que la manifestation brutale de l’action publique qui est en
train de se dérouler sous ses yeux. Il faut dire qu’à celle-ci elle devait être
habituée comme nous le sommes encore aujourd’hui et c’est cette transition que
je choisirai pour passer à quelque chose qui semble n’avoir aucune commune mesure
avec les exactions commises dans le passé et n’ai pas non plus vécu comme
anormal et monstrueux parce qu’aussi certainement (ce dernier caractère a bien été
relevé par le film en question) s’effectue sur une partie de la population
dénigrée par tous, sujet à l’opprobre de tous (je ne suis qu’une petite juive,
qu’une pauvre juive qu’elle dira à l’étudiant comme que pour lui elle ne
représente qu’une bonne action), et prise en charge par l’action ou force
publique sans en faire non plus trop de publicité comme ce devait être les cas
des rafles créant la surprise et la consternation.
Des policiers dans un bus bapsa, certains lisent le journal,
d’autres taillent la bavette, d’autres encore cassent une graine, rien de plus
normal. Comme qu’il y aient plusieurs bus bapsa les uns après les autres qui
s’acheminent vers le même endroit. Ils vont vers les lieux d’une rafle :
Les Halles. La bapsa c’est la brigade d’assistance aux personnes sans-abri qui
est une brigade de la préfecture de police de Paris eux-mêmes assistés par une
brigade bapsa (moins connu mais existante) de la RATP (ils se font concurrence
et pour garder le marché rivalisent d’ardeur dans leur entreprise plus communément connue comme celle de ramassage des clochards). Tout cela se passe après la fermeture du métro. C’est
à qui fera le plus de chiffre. Car si on les appelle tous par le même
nom : Marcel ils sont d’abord et surtout un chiffre à faire pour la
brigade bapsa de la préfecture de police de Paris comme pour la brigade bapsa de la RATP.
N’empêche que le brigadier dans le bus où on les fait entrer manu militari
prend leurs papiers quand ils en ont et avant qu’ils aillent rejoindre la
partie arrière du bus aménagée pour eux. La rafle dure toute la nuit. Les
Halles c’est la cour des miracles et une vraie rafle. On court dans les
couloirs. On les rassemble dans la salle principale. On les fait sortir en rang
direction les bus. Certains les traitent avec ménagement. La plupart les traitent sans ménagement. C’est à peine s’ils s’en plaignent, ce qui tend à prouver
non pas qu’ils soient des infra humains comme on a trop tendance à le penser mais le peu
de soins et d’attentions qu’ils sont habitués à recevoir. Il ne fait pas encore
jour quand on fait descendre tout ce petit monde dans une ancienne prison
désaffectée devenue hospice pour personnes sans abri. On repart aussitôt avec
ceux pris la veille qui seront largués — comme on les a trouvés, c’est-à-dire
aussi mal habillés que chaussés, qu'ils aillent pieds nus ou pas, en plein hiver
comme en plein été — sur les bords de la Seine avant que le soleil ne se lève. Ils auront en tout et pour
tout pris un repas chaud et passer aussi une nuit sous des couvertures.
Certains se plaindront d’avoir été dépouillé par le personnel en blouse
blanche. Cela prêtera tout au plus à rire. De quoi pouvait-on les
dépouiller ? Et c’était pour la douche obligatoire à l’arrivée. Le
brigadier dans le bus, un brave homme qui montrait à tous ces cartes postales
du Portugal où chaque année il partait en vacances. Que les gens sont gentils
au Portugal. C’était un gentil brigadier qui souvent dormait dans le bus et se
réveillait juste pour leur prendre les papiers aux Marcels avant qu’on les
colle au fond du bus et claque la porte derrière eux, et au suivant jusqu’à ce
que le plein soit fait, alors fin de la mission, rien de plus normal.
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