Il est bien des erreurs qui sont de ce siècle et dans lesquelles il est
par conséquent normal que nous tombions tous et qui pourtant peuvent être
lourdes de conséquences. Il en va de la lecture que nous faisons de notre vie
comme de celle que nous pouvons faire d’auteurs qui ont traversés les siècles
mais ne sont pas pour autant entendu de la même façon au siècle qu’ils nous
incombent de vivre qu’aux précédents. La réception des œuvres majeures de
l’humanité porte la marque des siècles. Avez-vous comme moi entendu parler de
Baruch d’Espinoza né à Amsterdam le 24 novembre 1632 ? Non ! Parce
que j’ai l’immense avantage sur vous d’avoir lu l’Ethique. Vous, vous connaissez par ouï-dire, les ouï-dire de votre temps, le
philosophe Spinoza qui serait le philosophe de la joie de vivre, qui ne distinguerait pas
nos défauts de nos qualités, au point de ne plus nous en faire le reproche et, les considérant tous comme constitutifs de la nature humaine, s’en prendre à eux
serait comme s’en prendre à nous-mêmes. Tout cela est juste comme de quitter le
niveau passionnel de leur analyse pour s’élever à un niveau rationnel qui est
ce qu’il fait, mais c’est aussi ce que sans nous le demander il nous demande,
et cette exigence n’est pas des moindres.
Ah ! Diriez-vous avec moi -- pas tout de suite mais après
que vous aurez lu ce que je vais vous en lire, pour que vous ne vous contentiez
plus de ce que votre époque en dit -- toutes les admonestations reçues, toutes les menaces proférées, tous les encouragements à l’étude n'auront pas suffit, quand seulement j’aurais lu cet appel à la raison qui a lui seul
aurait eu raison de moi, tant il est clair ce qu’il dit, que de sacrifier le
plaisir du moment est comme un faux sacrifice, car en réalité on ne sacrifie
rien sinon fait un investissement rentable sur un avenir non pas lointain et
hypothétique mais proche et certain. Bien sûr, Baruch d’Espinoza ne dit pas
cela en ces termes mais en d’autres encore bien plus éclairants, contrairement
aussi à ce que l’on, les spécialistes de tous poils, laissent entendre de lui,
qu’il ne serait pas facile de le comprendre ; et il n’est en effet pas
facile de le comprendre comme eux le comprennent car ils n’ajoutent pas
toujours à notre compréhension, et bien que l’on ne puisse pas douter de leur
bonne volonté contentons nous le plus souvent de lire ces lignes que je
reproduis ici :
Sous la conduite de la Raison, nous poursuivrons un moindre
mal présent qui sera la cause d’un plus grand bien futur, et nous négligerons
un moindre bien présent qui serait la cause d’un plus grand mal futur.
Collégiens de toutes nations et de toutes conditions, étudiants de toutes disciplines, prenez le comme
une injonction à l’étude, quand bien même c’est pour vous le temps des amours,
et quand bien même votre esprit peut vous représentez les plaisirs du moment qui parce
qu’ils sont du moment vous paraissent plus grands que ceux à venir car ces
quelques lignes encore vous détromperons : Si l’esprit pouvait avoir une
connaissance adéquate d’une chose future, il serait affecté de la même façon à
l’égard d’une chose future. C’est pourquoi en tant que nous considérons la
Raison elle-même, comme nous sommes supposés le faire dans cette Proposition,
il en va de même pour nous que le bien ou le mal soient futurs ou présents. Par
suite nous poursuivrons plutôt un bien futur plus grand.
Vous avez maintenant comme moi lu que nous poursuivrons
plutôt un bien futur plus grand ; on ne peut pas vraiment prendre ça pour un
appel à une vie spontanée et passionnelle, pour un carpe diem « cueille le jour présent ». Cela
pourrait peut-être amener certains critiques de Spinoza nous le proposant, pour
ne pas dire nous le vendant comme un philosophe de la joie de vivre, a réviser
leur position, bien que je ne le crois pas car ils sont les philosophes de leur
temps et qui à leur temps veulent ramener tous les philosophes, mais nous qui
voulons seulement vivre et si possible vivre mieux, contentons nous seulement
de nous en rapprocher plutôt que de les rapprocher de nous, il faut se
rapprocher d’eux comme on se rapproche d’un ami. Qui ne voudrait pas de
Baruch d’Espinoza comme ami. Eh bien, pour cela il lui suffit de le lire.
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